Cartographie de plan d'action : le User Story Mapping
Ces temps-ci j’utilise énormément deux outils assez connus du monde du design thinking, du lean startup, de l’entrepreneuriat, ou plus globalement du monde agile : la cartographie de plan d’action, ou tactique, et la cartographie de la stratégie. Soit le user story mapping et l’impact mapping. J’avais déjà pas mal abordé ces outils au travers de différents articles mais a) j’ai besoin et envie de clarifier mon propos avec des articles b) ma pratique a continué d’évoluer depuis les précédents articles. Je vais donc essayer une petite série (5 articles ?) sur ces cartographies. Une présentation de la cartographie de plan d’action, la user story mapping, puis une présentation d’un exemple d’utilisation détournée, tordue, mais utile par exemple autour d’une roadmap. Une présentation de la cartographie de stratégie, impact mapping, puis une présentation d’une variation qui fait appelle à sa cousine la strategy map et des OKR du management 3.0. Enfin un article sur le mariage éminemment utile de ces deux approches, l’une enrichissant l’autre.
ps: ce n’est pas la user story mapping de Jeff Patton à la lettre. Par exemple je n’utilise pas les “personas”. Vous pouvez lire le livre de Patton, il est bien, rigolo, gouilleur, et les 90 premières pages suffisent, les autres ne sont que des redîtes pour faire livre.
À quoi ça sert ?
Une cartographie de plan d’action cela à définir le … plan d’action. C’est à dire tactiquement (opérationnellement, sur le terrain, dans la gadoue, les mains dans le cambouis), comment on va mener concrètement la mise en œuvre de notre stratégie, de notre idée. Généralement c’est dédié à la création d’un produit ou d’une offre. L’objectif est de découper en petits morceaux qui font sens pour rapidement avoir quelque chose qui nous permette d’apprendre et/ou de bénéficier de notre réalisation au plus tôt. Si nous sommes capable d’ordonner par valeur, et de délivrer ainsi par petits morceaux qui font sens nous avons une gestion du risque efficace. Soit nous échouons rapidement et minimisons les coûts/investissement de cet apprentissage, soit c’est un succès et le risque s’atténue ou disparait, et nous pouvons bénéficier tôt de nos efforts.
Je peux reprendre ici la belle maxime de Jeff Patton : “Minimiser l’effort, maximiser le résultat”.
Une cartographie de plan d’action, une user story mapping, cela se réalise en atelier de plusieurs heures, en plusieurs fois selon le scope, avec idéalement les personnes impactées par l’idée, le produit, autant ceux qui portent le besoin que ceux qui vont le réaliser. Chacun nourrit l’autre. Un grand mur ou une grande table sont indispensables.
Étape 1 : Déterminez votre histoire et ses chapitres
Une cartographie de plan d’action c’est d’abord et avant tout une histoire. L’histoire de votre produit, de votre idée, de votre fonctionnalité, de votre stratégie. Une histoire chapitre après chapitre donc avec une approche chronologique. Cette chronologie peut être logique : je lance les invitations à ma grande fête après avoir trouvé le lieu adéquat. Comme cette chronologie pourrait être basée sur une importance, une approche stratégique : je décide de lancer une communauté autour des chiens : on va d’abord proposer des balades en commun, puis du gardiennage, puis du conseil d’expert, enfin on pourra vendre des produits dérivés autour de cette communauté.
Si j’exprime les choses sous la forme d’une histoire je clarifie ma pensée, et je la communique bien mieux. Les gens s’y projettent bien plus, ils mémorisent bien mieux (22x mieux dit-on quand on est capable de raconter des histoires).
Je commence donc par bâtir une colonne vertébrale qui s’articule autour des chapitres de mon histoire. (Comme toujours dans ces ateliers : si on oublie quelque chose on peut le rajouter ensuite). Il faudrait pousser la personne en charge à raconter son histoire à haute voix en parcourant de gauche à droite ces chapitres.
Les codes couleurs sont nos amis. On va essayer de définir une couleur pour cette colonne vertébrale. Le blanc disons. Le plus simple, des pages A4 coupées en deux. Soyons pratiques.
Je reprends ici mon “peetic” fétiche : un site de mise en relation de possesseurs d’animaux (chats & chiens) qui va me permettre de vendre des produits dérivés. Mon histoire : “j’ai d’abord un possesseur qui a donc un animal, il gagne du temps et se socialise en faisant des balades, en faisant faire des balades, ou en ayant un gardiennage adapté par échange (là il peut même partir en vacances), enfin il est ravi car son animal se porte bien grâce aux conseils prodigués par le service, ainsi avec nos inscrits on va pouvoir commencer à faire de la publicité puis vendre par la boutique des produits dérivés”. Cette histoire émergera des impact mapping que je vous présenterai plus tard. Elle aurait pu être plus micro : “je parcours les produits sur le catalogue, je mets des produits dans mon panier, je profite des promotions, je dois m’inscrire en tant qu’utilisateur, puis je paye, enfin je consulte mes commandes et mes factures”.
Étape 2 : Déterminez les composants de vos chapitres
Quand la première étape est achevée on prend chapitre par chapitre et on essaye verticalement, en mode colonne, d’y placer tous les composants nécessaires à la bonne réalisation du chapitre. C’est simple. Élément par élément. Mais la cartographie de plan d’action, le user story mapping, c’est simple. La piste noire en image plus haut c’est quand les choses paraissent impossibles on les attaque étape par étape. Merde je suis en train de citer une partie de la méthode de Descartes). Mais là où je me détourne de Descartes : un petit ensemble des éléments suffit à faire sens (on ne recherche pas l’intégralité, la complétude), on commence par ce qui a le plus de valeur (et pas le plus facile dans la Méthode du monsieur).
On utilise le code couleur jaune ? Des stickers ?
Ici c’est une petite cartographie du plan d’action, une petite user story map, vous pouvez en avoir des très grandes… (toujours peetic).
Étape 3 : Les points de vigilance
Déterminer les composants des chapitres c’est souvent l’occasion de faire participer tout le monde, l’occasion de discussions, de réflexions, l’occasion de se dire à haute voix les points de vigilances. Souvent des adhérences avec d’autres groupes, des inconnues. On ne va pas les oublier, on va placer un sticker, un post-it quoi.
Le code couleurs ? Rouge ou rose, c’est quand même un point de vigilance. Si le même point apparaît deux fois, il suffit de le stipuler une seule fois, le plus à gauche, dans l’ordre de l’histoire.
Étape 4 : Définissez un premier ordonnancement par valeur par colonne
Exercice plus difficile pour le porteur du besoin : on va désormais lui demander de prioriser par importance, par valeur, les éléments à l’intérieur de chaque colonne, colonne par colonne. Il devra malgré tout tenir compte des dépendances : je ne vais pas envoyer mes invitations avant d’avoir la liste des invités à ma méga soirée…quoique… en tous cas j’ai d’abord besoin d’un début de liste avant d’envoyer quoi que cela soit. Donc le ou les porteurs du besoin ordonnent par valeur (et potentiellement il ou ils sont soumis à des dépendances) les éléments de chaque chapitre. En haut les composants avec le plus de valeur, les plus importants, ceux qui nous intéressent le plus, ce qui nous font le plus apprendre.
À tout moment des éléments peuvent apparaître, disparaître, changer, au fil de la conversation, pas de souci, vous les intégrez au bon endroit.
(cliquez pour agrandir)
Étape 5 : Définissez un deuxième ordonnancement assez global
Maintenant on a une cartographie assez complète. Il est temps de donner du relief. On va ajouter une colonne à gauche pour y placer une échelle. Cette échelle devrait être l’importance, la valeur. On ne peut pas envisager une échelle trop fine, on va donc imaginer trois ou quatre niveaux. Vous pourriez appeler ces niveaux MoSCoW : Must (obligatoire), Should (on devrait faire ça), Could (on pourrait faire ça), Won’t ou Would selon le contexte (Est-ce utile de faire ça ? On le fait pas ? ou On aimerait faire ça mais est-ce important ?). Mais cela peut bloquer certains porteurs du besoin : “Comment ça mais tout est obligatoire” (oui oui c’est ça…). Vous pouvez alors appeler ces étapes “lot 1, lot 2…”, “étape 1”, “étape 2”, mais bon cela sous-entend une complétude or il faut imaginer que nous ne fassions que le “lot 1” ou l’“étape 1” et qu’elle pourrait se suffire à elle même. Essayez au mieux on reviendra sur ces intitulés en fin de parcours grâce à Dragos.
En tous cas : a) c’est souvent un acte difficile pour les porteurs du besoin, b) il devrait se dégager visuellement quelque chose d’intéressant.
Étape 6 : Faîtes glisser vos porteurs du besoin dans l’inconfort
Dans la gestion produit, dans la gestion de nombreux projets, de nombreuses activités, le monde complexe changeant dans lequel nous vivons nous impose de valider rapidement nos hypothèses, car toutes ces pondérations, priorisations, toute cette valeur, restent des hypothèses. Des hypothèses à valider, et dans notre gestion du risque, de notre effort, de nos investissements, à valider le plus rapidement possible.
Vous aurez remarqué que les porteurs du besoin rechignent souvent à descendre des éléments vers des priorités plus basses. Quoi de plus normal. Pourtant il faudrait oser se mettre dans l’inconfort pour valider rapidement. Difficile de les pousser dans l’inconfort sauf si… vous libérez l’espace pour une ligne horizontale, un nouveau niveau, au dessus des autres, sur lequel vous pourriez écrire : “j’ai mal mais ça marche”, sous-entendu “ouhla c’est vraiment le minimum minimum je ne me sens pas à l’aise mais effectivement cela validerait déjà mes premières et plus importantes hypothèses, composants”.
Étape 7 : Définissez les histoires dans l’histoire
Pour que cette mise en relief prenne encore plus du sens j’ajoute une dernière retouche, la Dragos ’s touch, l’homme sens par excellence (des fois il devrait faire des trucs incohérents pour voir). Essayez de transformer vos titres de colonnes de gauche (Must, Should, … Lot 1, Lot 2…, Étape 1, Étape 2…) en phrases racontant des petites histoires. Donnez de la cohérence à vos sous ensembles. Cela délivre une grille de lecture très intéressante qui peut vous pousser à encore bouger quelques stickers/post-its. Pas de souci.
Histoire #1 : ouverture avec connexion Facebook qui permet de connaitre des balades ou du gardiennages entre possesseurs. Nous récoltons nous mêmes les infos.
Histoire #2 : on réintègre les utilisateurs dans notre système et on permet la création dynamique d’offre communautaire de balades ou de gardiennages.
Histoire #3 : on lance les conseils d’expert et une première pub (monétisation).
Histoire #4 : on étoffe et on lance la boutique.
Histoire #5 : faut pas rêver on aura d’autres idées avant celles-ci.
Attention la somme d’effort par étape n’est pas forcément la même ! On veut surtout dégager une approche tactique qui permette de découper en histoires faisant sens et de petites tailles (surtout au début) pour rapidement valider nos hypothèses.
La prochaine fois je vous tord une cartographie de plan d’action, une user story map, pour l’utiliser comme outil de roadmap, de portefeuille projets, entre autres exemples.