PO/PM, la grande embrouille

Mais il est PO ou il est PM ?

Je m’en fous de ton bullshit.

Début un peu violent j’en conviens, mais j’arrive à mon propos.

Marty l’observateur, pas l’analyste

Ci-dessous une image de Marty Cagan à la School Of Product 2022. Sur son slide est écrit “a product owner is simply a role in a delivery process. A product manager is responsible for a product’s value and viability”. Ce qui se traduit par : un product owner est simplement un rôle dans un processus de livraison, un product manager est responsable de la valeur et de la viabilité du produit".

Cette image dit ce que le PO est devenu, pas ce qu’il était et pourquoi il a été imaginé. Il a été imaginé et inventé exactement ce pourquoi le PM est cité là. Pour être responsable de la valeur produit. Mais alors pourquoi cet écart ? Parce que Marty – en bon ambassadeur de la Silicon Valley – décrit le marché, et pas les principes sur lesquels nous devrions nous baser.

Je vous encourage donc à ne pas foncer tête baissée dans cette affirmation.

La conférence de Marty Cagan était très bien au demeurant.

Je ne veux pas attaquer Cagan, je veux mettre en évidence qu’il décrit ce qu’il observe et que cela ne veut pas dire que c’est une bonne idée tout le temps. C’est son mode de fonctionnement, c’est comme cela qu’il le décrit. Ce n’est pas quelqu’un qui a des idées, c’est quelqu’un qui est au bon endroit au bon moment et qui sait bien transmettre ou vulgariser.

Alors pourquoi cet écart entre ce qu’il observe et ce que l’on aimerait qu’il soit ?

Benjamin Fourio sur Linkedin me répond : La citation de Cagan n’a fait que renforcer l’idée que je me faisais d’un schisme entre les entreprises tech dont le logiciel est le cœur de métier et des boîtes non-tech qui ont à produire du logiciel pour supporter leurs opérations. Les premières étant plus proches d’un Cagan et donc du product management et les secondes peut-être plus proches des mouvements autour de l’agilité (au sens de l’ingénierie logicielle).

Pendant longtemps j’ai observé un mélange des deux et aujourd’hui je suis convaincu qu’il faut clairement les distinguer et le pas chercher à lier le destin des deux mouvements.

C’est plausible.

Plutôt qu’écart j’aimerais parler de dérive. Dérive ?

D’une part provoquée par la politique au sein des entreprises. D’autre part par la mise à l’échelle.

Politique au sein des entreprises

D’une part il y a un jeu politique : les product manager sont les internes qui chapotent les externes, les product owners. L’appelation sert à instaurer une hiérarchie. Une mauvaise hiérarchie : pas de responsabilité, juste de chefferie. Ensuite selon les envies et les compétences de chacun, l’activité se distribue intelligemment ou pas.

Compliqué pour une entreprise d’avouer que la responsabilité du produit (donc le coeur de l’entreprise) est confié à un externe. Le duo PM/PO masque souvent cet état de fait.

Petit flashback, la demande en France a explosée vers 2015/2017, je le sais, j’y étais, et j’y ai joué un rôle avec benext, et la création justement de la school of product1.Au début du mouvement des product owner, je pensais très bizarre qu’une entreprise donne la responsabilité de son produit à un externe (je travaillais pour une boite de conseil qui vous délivrait des product owner que l’on espérait aux petits oignons, et qui grandissaient avec nous), j’ai vite été contredit par le marché qui a foncé vers les product owners (et heureusement dans un sens cela nous a amené pas mal de succès). Mais cela reste bizarre à mes yeux que le product management soit externalisé. L’accompagnement, le conseil ok, l’activité elle-même je reste dubitatif. Mais le marché me donne tord. Beaucoup le font. .

Pourquoi ? Parce que probablement trop peu de gens – malheureusement – veulent véritablement endosser cette responsabilité, et naturellement tous les échecs qui vont obligatoirement se produire (avec des succès aussi). L’entreprise est devenue dans la tempête géopolitique actuelle (pandémie, limites planétaires, guerres, etc.) un organisme bien frileux.

Le product owner met les mains dans le cambouis. Il a un avis sur le produit et il va jusqu’au bout : il accompagne les développements, et la mise dans les mains de l’utilisateur, et il valide ou invalide : pendant le développement, et après, la prise en main. Valider, mettre les mains dans le cambouis (pas uniquement penser, mais faire), assumer les choix, et bien tout le monde ne veut pas le faire. Bien souvent il est plus confortable de se déclamer Product Manager et de ne faire que les choses qui s’attachent à la pensée pure sans porter aucune responsabilité.

Donc ça c’est une première déviance : politique, interne, externe, responsabilisation, bullshit jobs, etc.

Ce qu’il faudrait ?

Peu importe que vous soyez PO ou PM : vous devez être responsable du produit. Si on prend des décisions sur des choses pour lesquels on n’est pas responsable nos décisions ne sont pas les bonnes, car on n’est pas impliqué.

Peu importe que vous soyez PO ou PM : vous devez vous intéresser à tout le cycle de vie du produit : du pourquoi, au comment, de l’idée de départ, à sa réception par son marché. On fait bien mieux les choses quand on en comprend les tenants et les aboutissants.

Et ainsi enlever la notion de responsabilité et de viabilité du PO par Marty Cagan, c’est juste une idiotie. Pas de Marty Cagan, du marché. Qui décide d’enlever de l’intelligence, de l’interdire, de s’en priver. Après une hiérarchie peut exister car si tout le monde à un avis, et que tout le monde décide, c’est souvent la fin des haricots. Mais que tout le monde soit responsable de sa part, et engagé car il maitrise son domaine d’activité ce n’est que bénéfique.

Mise à l’échelle

La mise à l’échelle a amené un autre besoin, et c’est là je pense que se cache tout le souci de la formulation de Marty Cagan. La mise à l’échelle a amené un besoin de synchronisation, de fluidification dans la fabrication et la livraison. La mise à l’échelle a amené un rôle que les anglophones ont appelé le delivery manager. C’est bien… un manager de plus on en manquait ! Le besoin est légitime : synchroniser l’assemblage de plusieurs équipes est nécessaire et les outils n’y suffisent souvent pas.

Mais alors il ne faut surtout pas l’appeler Product Owner mais Delivery Manager. Car cette personne n’est pas lié au produit, mais à la livraison. Facile si vous avez livraison dans votre titre vous êtes responsable de livraison : de sa fluidité, de sa qualité, etc. Mais vous n’êtes en aucun cas responsable des arbitrages sur le contenu. Et si vous avez “produit” dans votre titre vous êtes responsable du produit, avec différents degrés hiérarchiques et donc hauteur de vue (d’où PM et PO).

Conclusion

La phrase de Marty Cagan est un symbole des dérives du marché, il aurait du mettre delivery manager d’un côté, et product owner/manager de l’autre.

La force d’une approche agile de type Scrum (et d’autres) est de délimiter et d’équilibrer les reponsabilités entre le quoi et le pourquoi d’un côté, et le comment de l’autre. Le product owner et le product manager se trouvent du même côté et c’est plus une perspective de hauteur de vue et de hiérarchie qui s’appliquent à eux. Mais pour une activité de qualité ils sont tous les deux engagés et donc responsable de leur partie du produit, du quoi et du pourquoi. Le delivery manager est du côté du comment, il fluidifie le processus.

Si je relis la proposition de Benjamin plus haut, la différence entre les entreprises tech et non tech est que peut-être dans un cas le quoi et le pourquoi intègrent les aspects technologiques, alors que dans l’autre la technologie se limite au comment.

Enfin, oui le product owner est malheureusement trop souvent appréhendé comme un rôle de facilitation du processus, comme de la chefferie de projet. Changez de titre, appelez-vous chef de projet ou delivery manager car sans cela nous faisons du mal à ce qu’est l’agilité, et nous ne mettons pas en évidence le mal que nous faisons à nos produits en nous disant responsable du produit sans l’être. Nommez bien les choses !


  1. Le rôle lui-même a été créé bien avant avec l’arrivée de Scrum, disons fin des années 90, chipotez pas les maniaques. ↩︎