Agile à grande échelle : c'est clair comme du cristal
Beaucoup de discussions actuellement sur de la “mise à échelle” de l’agile, scrum ou kanban (chez Kanban, la mode c’est l’évocation des portfolios de kanban). C’est aussi pour beaucoup l’occasion de ramener ces égarés de la pensée agile dans le droit chemin : voici le retour des organisations, et de la difficulté de synchroniser ces grandes dames, on en profite pour proposer un retour au contrôle, à l’illusion de contrôle, à l’illusion de pouvoir. C’est la diarrhée des Scaled Agile Framework et consorts qui prouvent si cela était nécessaire qu’ils n’ont rien compris à la culture agile.
C’est vrai que depuis plusieurs années, l’agile, disons plus clairement Scrum s’étend (avec XP concernant les pratiques d"ingénieries [1] ).
J’observe donc deux phénomènes :
- le premier, c’est de découvrir que c’est dur, Scrum, que cela demande un investissement, que cela renouvèle les rôles les responsabilités, l’organisation et la culture de la compagnie. Tout le monde n’est pas ravi par cela ou tout le monde ne réussit pas. Pourtant de nombreuses personnes souhaitent malgré tout être agiles -tant mieux- et elles se tournent donc vers Kanban. Qui en dehors de ses qualités propres (qui sont indéniables), permet aussi de se dire agile sans se heurter de façon aussi claire à certaines contraintes.
- Le second, c’est que bon gré mal gré, selon les contextes plus ou moins bien, on arrive à déployer Scrum (ou Kanban) à une plus grande partie de l’organisation et que des problématiques nouvelles apparaissent concernant notamment une “mise à l’échelle”.
Scaled Agile Framework : de la nouille, du flan
- Pas mal de structures ou de personnes profitent de cette nouvelle donnée
- la mise à l’échelle. L’occasion est trop belle pour faire resurgir de vieux démons : une organisation rationnelle, mécaniste. On peut parler de mémoire du muscle. Il faut sortir de ces schémas qui, non seulement n’ont ni queue ni tête, renient les fondements de ce nouveau mode d’organisation auquel nous tenons tant et surtout, ne fonctionnent pas.
“L’homme n’a jamais pu se passer de grilles” (qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. Lacan).
Une organisation agile à grande échelle
Mon expérience personnelle m’a permise d’être immergé disons à l’intérieur d’une quinzaine d’équipes agiles simultanément au sein d’une même organisation (je ne les suivais pas toutes de la même manière, mais j’étais à l’origine de la transmission agile). Pas plus. Mais c’est déjà pas mal. Suffisant probablement pour appliquer les approches auxquelles je crois. Tout nous a appris à ne pas considérer le monde moderne comme un monde rationnel et mécaniste mais comme un monde complexe donc imprévisible, contradictoire, voire désordonné. Beaucoup veulent rationnaliser quand le nombre d’équipes, de projets leur parait grand. Au lieu de s’inspirer d’une approche cartésienne on devrait s’inspirer d’une approche complexe. Observons la nature autour de nous, et plus précisément : le cristal.
C’est en voyant cette image de cristal se formant sur l’eau que j’ai fait cette analogie. Lire deux ou trois textes sur le cristal a plutôt conforté mon intuition, je continue donc à penser ainsi. Le cristal est émergent. Je vous propose quelques analogies avec le cristal, puis rappelle les idées sur les systèmes informationnels ouverts de Laborit, pour plus communement proposer une mise en oeuvre.
La cristallisation
La cristallisation est le passage d’un état désordonné liquide, gazeux ou solide à un état ordonné solide, contrôlé par des lois complexes. La fabrication d’un cristal se déroule sous le contrôle de différents facteurs tels que la température, la pression, le temps d’évaporation.
Mon analogie est de dire que la formation d’une organisation agile à grande échelle pourrait répondre aux observations faites sur le cristal et la cristallisation. C’est juste un jeu avant toute chose pour me permettre (et peut-être vous) d’appréhender mieux le “bon” état d’esprit, la bonne façon de faire de l’agile à grande échelle.
On pourrait ainsi dire que plusieurs équipes organisées différemment (état liquide, gazeux, solide) mais désordonnées peuvent s’organiser ensemble (s’ordonner) en appliquant des lois complexes, et pas des lois mécanistes, compliquées.
Le cristal est fainéant
Pour comprendre mieux la raison de la forme d’un cristal, il ne faut pas ignorer que la nature est fainéante et que lorsqu’on lui laisse le choix et le temps, elle choisit toujours les solutions qui lui coûtent le moins d’énergie. Ainsi, la forme d’un cristal témoigne des conditions physiques qui prévalaient lors de sa croissance, car c’est la forme qui a coûté le moins d’énergie. – Geowiki
Si on accepte l’analogie il faudrait donc toujours laisser l’agile à l’échelle prendre la forme qui convient le mieux à l’organisation. Et pas une forme pré-déterminée.
Stabilité du cristal
Après cette ébauche de raisonnement, il faut savoir que les choses ne sont pas toujours aussi simples. Une face cristalline est aussi une discontinuité, une surface où les atomes ne sont pas liés chimiquement comme les atomes du cœur du minéral. Cela revient en quelque sorte à casser des liaisons (l’approximation est un peu brutale mais correcte). Or dans le milieu de croissance, des espèces solubles sont capables de s’absorber à la surface en se liant faiblement avec les atomes de la surface. On peut stabiliser des plans qui coûtent normalement très chers, et en déstabiliser d’autre qui sont normalement facile à payer. Ainsi on modifie la forme finale du cristal cette fois-ci sans modifier les conditions physiques. Ces phénomènes de stabilisation peuvent ainsi induire des morphologies cristallines qui ne devraient pas être habituellement observées. Quand des espèces chimiques s’absorbent en surface et donc stabilisent les plans présentés, ces surfaces sont moins accessibles pour continuer la croissance suivant ces plans. Ainsi ce sont les plans les moins stables, ceux qui ont peu, voire pas, de molécule en surface, qui croissent le plus vite. Comme ces plans sont instables ils finiront par ne plus être représentés lors de la croissance, privilégiant ainsi la croissance lente des plans les plus stables. – Geowiki
Je continue mon analogie. On sera surpris par la facilité à stabiliser certains pans de l’organisation, et à l’inverse en déstabiliser certains -pourtant pensés comme stables- de façon inattendue. La mise à l’échelle est plus aisée avec les éléments qui n’ont pas encore été stabilisés dans l’organisation. La dynamique de la mise à l’échelle se ralentira nécessairement quand toutes les parties seront stabilisées. Faudrait-il donc presque encourager par moment la destabilisation ?
Source de modification : la troncature
Une troncature c’est le remplacement d’un sommet ou d’une arête d’un cristal par une face. –Geowiki, la troncature
Une des causes modifiant la forme initiale des cristaux est la troncature. –Geowiki, la troncature
Faut-il voir là l’idée que c’est en redonnant un pouvoir d’auto-organisation à chaque groupe, en supprimant la tête, qu’on lui permet de se s’organiser, d’une façon complexe, de se cristalliser au mieux avec le reste des parties de la compagnie ?
Gestion des dépendances : les macles ?
Selon la position des cristaux on distingue des macles par accolement et des macles par pénétration (ou interpénétration - plus ou moins complète). On parle de macles simples lorsque deux cristaux sont associés, et de macles multiples lorsque plus de deux sous-individus composent la macle, on en arrive parfois, par multiplication des sous-individus impliqués, à des macles cycliques, alors que lorsque la formation de macle se répète à l’intérieur d’un groupe, on obtient des macles polysynthétiques, (répétées). –Geowiki, les macles
Je sais que je m’amuse à pousser l’analogie loin, mais comme je découvre les macles ces amas d’équipes associées… et que je trouve que le vocabulaire utilisé par la science des cristaux me rappelle furieusement les situations vécues.. pourquoi s’en priver..
Système ouvert thermodynamique et informationnel
La structure de la matière vivante lui confère deux caractéristiques fondamentales : celle d’être un système ouvert et celle de s’organiser par niveaux de complexité, ces deux caractéristiques étant d’ailleurs strictement dépendantes l’une de l’autre… systèmes ouverts tant du point de vue thermodynamique qu’informationnel. – Henri Laborit, La nouvelle grille
Les systèmes vivants au sein de la biosphère ont su réaliser des structures autogérées, et l’on peut s’étonner de ce que, si le déterminisme aveugle de l’évolution biologique a su réaliser de tels systèmes, l’homme, dans ses sociétés, n’ait pas pu en faire autant. Nous tenterons de comprendre pourquoi. – Henri Laborit, La nouvelle grille
La finalité de l’ensemble doit être aussi celle de chacun des éléments qui le constitue. – Henri Laborit, La nouvelle grille
Voici, cumulons cela à notre formation du cristal :
- Systèmes autogérés : des équipes, des départements, des sites autogérés.
- S’incluant entre eux (comme des poupées russes) avec une ouverture informationnelle et thermodynamique vers les systèmes qu’il contient et les systèmes dans lesquels il est contenu : des équipes, départements, des sites pour provoquer des actions vers le système dans lequel ils sont inclus, et vers les systèmes qu’ils contiennent. De façon identique la communication circule dans tous les niveaux.
- L’ensemble est mené par une finalité : de l’organisation au pair programming, chaque groupe tend vers la même finalité. La vision, les valeurs de l’organisation.
- Tout cela se base sur des lois complexes.
- Un élément qui parait fragile peut se stabiliser beaucoup plus simplement qu’il n’y parait. A l’inverse un élément qui parait simple peut devenir difficile à stabiliser, ou se déstabiliser de façon inattendue.
- C’est en supprimant les arêtes (goulots, séparations, représentés par une personne ?) et en les remplaçant par des faces (équipes auto-organisées)
Proposition d’agile à grande échelle
- Des équipes qui avoisinent 7 personnes. Des départements qui avoisinent 50 personnes. Des organisations qui avoisinent 150 personnes. Des compagnies ou métaorganisation qui regroupent un ensemble de 7 organisations, puis 50 organisations puis 150 organisations, etc etc etc voir Dunbar & Allen.
- J’ai pu drôlement observer qu’au delà de 7 équipes (en fait 5 ou 6) travaillant sur un même meta-projet/produit on arrivait à une saturation. Un département d’une cinquantaine de personnes avec 5 à 7 équipes travaillant sur un même sujet est donc tout à fait envisageable. Au délà il faut modifier la forme sans modifier les conditions physiques, comme le cristal.
- Des groupes de 7 auto-organisés, des groupes de 50 auto-organisés, des groupes de 150 auto-organisés. Cela évoque aussi les “mini-site” de Jean-François Zobrist.
- Une vision partagée, un objectif partagé à atteindre qui amènera les informations et les actions à bien fonctionner. Et les gens à se sentir bien.
- Garantir que chaque groupe/système (poupée russe) peut communiquer avec son contenant et son conteneur.
- Garantir que chaque groupe/système (poupée russe) peut avoir des interactions avec son contenant et son conteneur.
- Observer constamment les stabilisations et les instabilités. Provoquer des destabilisations quand le système est entièrement stable.
- Laisser l’organisation prendre la forme qu’elle souhaite ou qui émerge, et la laisser évoluer en l’accompagnant.
English version (give a try with google translate)
[1] pas la peine de m’expliquer que XP ne se limite pas aux pratiques d’ingénieries.