Lecture : l'empire des coachs de Gori & Le Coz, 2006
Voilà un livre qui a eu un impact sur moi. Il ne s’agit que d’une critique, violente, exclusivement à charge, contre les coachs.
“Nous avons accumulé suffisamment d’éléments à charge , nous disent les auteurs, dans notre dossier sur le coaching pour éviter de tomber dans le piège de la critique nuancée. Les coachs sont les premiers à avancer que le coaching comporte des dérives, qu’il faut savoir distinguer entre les bons et les mauvais coachs. Il n’est pas de pire moyen pour combattre le coaching que de dire qu’il faut faire acte de vigilance contre ses mésusages, comme s’il existait une essence pure du coaching seulement souillée del’extérieur par quelques imposteurs. Nous préconisons, quant à nous, le rejet en bloc de cette soupe sportive remixée à la sauce managériale”.
Charge violente
Pour moi, lire ce livre c’est comme si j’avais demandé à un ami proche connaissant bien mes activités de mettre en exergue tous les aspects négatifs, les risques ou les dérives de celles-ci. Cet ami proche ne prend pas de gant, il m’assène des arguments indéniables, il ouvre des plaies qui auront du mal à se refermer. Nonobstant mon côté sado-maso, quel plaisir, ou plutôt quelle source d’amélioration ! Voici dressés à moindre coût bon nombre d’écueils dans lesquels j’ai pu tomber, ou que j’aurais à éviter. C’est donc une lecture que je recommande à tous ce qui ont un lien de près ou de loin avec le coaching, en l’occurence dans mon cas le coaching agile.
Si je résume la pensée des auteurs, le coaching n’est finalement qu’une sorte de mystification psychologico-managériale dont l’objectif caché est une uniformisation néolibérale des personnes sous couvert d’une pseudo émancipation humaniste.Rien que ça.
“Un conditionnement individualiste au service d’un conformisme généralisé” nous disent les auteurs.
Ou encore (je cite là les titres de chapitres) “Le coaching comme falsification du rapport éthique à autrui”. Et encore “la croissance individuelle soluble dans la croissance économique”. Ou pour finir: “La question de fond est de savoir si le coaching n’est pas un remède pire que le mal qu’il prétend conjurer”.
Ce qui est très perturbant dans cette lecture c’est que les explications, analyses, cas concrets mis en exergue par les auteurs me sont familiers. Comme si ils analysaient une partie de mon travail mais uniquement sous un aspect négatif. C’est passionnant, je ne peux pas démentir que leurs analyses soient fausses, mais elles sont exclusivement négatives.
Nuançons
Car il faut nuancer. L’un des tords de ce livre est justement qu’il n’est qu’à charge, à sens unique, qu’il ne place en exergue que les aspects négatifs. Or même si les auteurs insistent pour ne faire qu’une critique à charge et surtout de ne pas laisser une once de crédit à ce rôle, on reste dubitatif devant un tableau aussi noir. Si oui j’ai pu tomber dans les travers évoqués par moment, et à mon corps défendant, cela s’accompagnait aussi de pas mal de choses positives (j’ose espérer). Donc il faut peut-être nuancer malgré tout (relisez la première citation en début d’article pour voir que je ne suis alors pas d’accord avec les auteurs).
La deuxième chose sur laquelle apporter de la nuance c’est justement la définition du coach. Dans l’esprit des auteurs me semble qu’ils interpellent les “vrais” coachs. Ceux qui sont coachs avant d’être autre chose. Pour ma part je suis agiliste, ou informaticien, bien avant d’être coach. Coach n’est que la formulation qui jusqu’avant la lecture de ce livre me semblait convenir le mieux à cette glue qui s’étend tout autour du coeur de mon métier : valeurs et principes agiles.
Et puis oui nous sommes là pour aider des organisations à réussir leurs projets.
Enfin le discours est un peu affaibli par le côté revanchard qui perce concernant les aspects financiers. L’un des auteurs (Gori), psychanalyste, ne cesse de fustiger les tarifs exorbitants des coachs (et rien qu’en lisant les tarifs je sais du coup que je ne suis pas vraiment un coach). On devine une vraie rancoeur sur cette “psychanalyse de comptoir à l’américaine” (c’est mon expression pas celle du bouquin) qui se paye cher et détourne des “clients” de la vraie psychanalyse. C’est dommage.
Psychologie & conformisme
L’un des reproches forts du livre est l’annexion du domaine de la psychologie par les coachs
A mon avis oui il faut aborder dans notre métiers les aspects psychologiques mais avec beaucoup de précaution. Peut-on s’en passer ? probablement pas. Il s’agit de relations humaines, donc de psychologie et pas d’autres sciences plus froides. Mais ce n’est pas mon métier, il faut donc faire très attention et surtout ne pas devenir un apprenti sorcier.
Un autre reproche fort est celui de gommer les différences au profit d’un conformisme pratique aux entreprises. Je suis très en phase avec cette critique. Il faut accepter la différence, et surtout la préserver. Halte au conformisme.
Philosophie
J’ai apprécié les rappels philosophiques (le deuxième auteur est philosophe -Le Coz-): le relookage de la maïeutique de Socrates par les coachs. Oui il faut connaitre cela quand on fait de l’agile. Ou les rappels autour de Descartes, Nietszche ou Heidegger : l’importance du langage. C’est sur dernier point que je souhaite -comme le livre-conclure.
Puissance du langage
- Je cite le livre : “L’homme, écrit Heidegger, se comporte comme s’il
- était le créateur et le maître du langage, alors que c’est celui-ci au
- contraire qui est le et demeure son souverain”. Gori & Le Coz complètent
- “Le langage est la matrice et non l’outil de la pensée”. ou plus loin ils citent Victor Klemperer : “[…]Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir.”.
Les mots, le langage construisent notre monde. Ils nous y enferment aussi potentiellement. Ils peuvent l’empoisonner donc.
Il faut s’interroger sur le mot coaching ou coach et ce qu’il renferme. Pour ma part j’y vois une inversion des objectifs : Si je suis seulement coach j’ai perdu le sens de mon action. Le sens de mon action c’est d’essayer d’appliquer les valeurs et principes agiles. Pourquoi : pour que les projets réussissent. Et un projet qui réussit se mesure aussi et naturellement au plaisir et à la satisfaction et à l’émancipation de toutes les parties prenantes.Toutes.
J’espère être agile avant d’être coach. Et ce livre me pousse à penser que coach n’est plus le mot adapté. Et d’ailleurs “agile” l’est-il aussi encore compte tenu de la confusion qui l’accompagne désormais avec l’engouement dont il est le sujet ?
Bref je vous recommande chaleureusement la lecture de cet ouvrage. Il ne peut que vous pousser à vous interroger si vous êtes dans ma situation. Ce n’est donc que bénéfique. Pour ma part je me lance dans la quête des bons mots, du bon langage.
Vous reprendez bien encore un peu de lance-flammes ?
“Une analyse critique du phénomène du coaching doit déboucher sur une attitude d’insubordination radicale. Délivrons nous des coachs ! serait l’expression naturelle qui nous inspire cette nouvelle potion idéologique aux senteurs opiacées. La présente contribution appelle à un sursaut d’orgueil collectif. Elle entend provoquer un vrai débat de société sur le sujet. Il y a bien des raisons de se montrer sans concession à l’égard du coaching. A commencer par cette sinistre anthropolgie managériale qu’il véhicule derrière sa prétention à prendre appui sur une psychologie humaniste”.
Bonne lecture.