Êtes vous agile ?
Lors de la session Agile & CMMi à Toulouse (avec @yassinezakaria) quelqu’un m’a interpellé. Je venais de présenter les 5 niveaux de maturité de agile tel que définis par Scott Ambler. Le premier niveau étant l’“agile réthorique”. L’agile “marketing” si vous préferez, celui qui fait vendre, peut importe ce qui se déroule ensuite. Une personne m’a donc interpellé : “comment savoir si je fais du bon agile ou de l’agile marketing ?”. Pris dans la session et surpris par cette question je n’ai pas su répondre avec précision. La réponse m’a semblée trop évidente. Et pourtant elle était loin de l’être.
Cette question interroge d’abord sur notre faculté à auditer l’agile. Est-ce possible d’auditer une approche qui se veut auto-organisée, en amélioration continue, dans un monde complexe où il n’est pas aisé de reproduire des schémas pré-établis ?
Qu’est ce qui défini aujourd’hui une bonne approche agile, d’une mauvaise ? Peut-on auditer une approche agile ? Même si certaines connaissances autour de moi s’y refusent, je ne partage pas leur avis. D’abord mettons nous d’accord sur le terme “auditer”. Je me base sur la définition de wikipedia (elle me convient) : “une activité de contrôle et de conseil qui consiste en une expertise par un agent compétent et impartial et un jugement sur” … Pas nécessairement une note ou un rang ou une certification, mais un jugement, un avis. Exactement comme dans le cadre d’une rétrospective, ou d’un exercice d’amélioration continue. Si j’ai cet avis je suis capable de dire à la personne qui m’interrogeait (et naturellement si je prends le temps de faire un audit) de lui donner un jugement, un avis.
Comment donc auditer une organisation agile, un groupe agile, un projet agile ?
On peut se baser sur les 3 niveaux fournis par les différentes méthodes et l’agilité de façon plus générale :
## Niveau 1, les valeurs du manifeste et des différentes méthodes
Interaction, capacité au changement, collaboration etc. auxquels si nous sommes dans un environnement scrum on ajoute : transparence, inspection, adaption ; ou si nous sommes dans un environnement XP : respect, courage, feedback, communication, simplicité, ou les deux. On peut aussi intégrer à ce niveau les valeurs du Lean : respect des gens, amélioration continue.
Niveau 2, les principes du manifeste
par exemple : “Simplicity–the art of maximizing the amount of work not done–is essential.”, ou “The most efficient and effective method of conveying information to and within a development team is face-to-face conversation”, ou des principes du Lean: See the whole, eliminate waste, flow, pull, etc.
Chacun des principes découlent des valeurs, c’est une mise en oeuvre de celles-ci. Les valeurs priment donc sur les principes.
Niveau 3, les pratiques des différentes méthodes
Le daily standup de scrum ou XP, le code refactoring de XP, la rétrospective de Scrum, la limitation du travail en cours de Kanban, etc.
Chacune des pratiques découlent des principes et des valeurs. Les valeurs priment donc sur les principes, qui priment eux mêmes sur les pratiques.
Tout devrait vous ramener aux valeurs, le lien avec celles-ci dans chacune de vos activités agiles doit être permanent. Peu importe que vous détourniez, transformiez, inventiez des pratiques si tant est que vous respectiez les valeurs agiles auxquels vous vous réferez. Celles-ci peuvent être réduites à votre seule discipline : Scrum : transparence, inspection, adaptation ; XP : feedback, respect, courage, simplicité, communication. Mais celles-ci sont atomiques. On n’imagine pas faire de l’adaptation sans inspection, on n’imagine pas une inspection sans transparence.
C’est sur ces points que l’audit agile devient complexe. Il m’est facile de dire si un daily scrum se déroule correctement, ou le sustainable pace de XP est respecté. Il est autrement plus compliqué de dire si une organisation, un projet est transparent ou non, si une équipe a été courageuse ou non, si il y a eu assez de respect ou non.
Pour les pratiques je sais, j’ai un savoir ; aussi bien subjectivement qu’objectivement je suis capable de juger si les gens respectent ou non les pratiques du daily scrum ou du sustainable pace.
Pour les valeurs (je laisse les principes : ils se situent entre les deux) j’ai une opinion et non pas un savoir. Je peux difficilement affirmer de façon subjective et objective si la valeur de transparence est respectée, mais j’ai mon opinion. (Sur ces approches, avec le savoir et l’opinion, il faut ajouter la foi et vous aurez les 3 degrés d’assentiment décrits par Kant dans sa critique de la raison pure).
Pour formuler une opinion j’opère comme le fait Comte-Sponville dans son “esprit de l’atheisme” lorsqu’il s’interroge sur l’existence de Dieu (il fallait bien cela en ces jours de fête ou tout le monde se baffre à la mémoire d’un petit gars soit disant né dans une étable) : avec des arguments négatifs. Je ne sais pas si vous êtes agile, mais je crois détecter quand une chose ne l’est pas, j’ai mon opinion là dessus. J’ai une opinion sur les choses qui ne me paraissent pas agiles, en cela je me réfère constamment aux valeurs de l’agilité ou des méthodes que vous déployez (XP, Scrum, Lean, etc.). Mon opinion est basé sur ma connaissance (et donc mon expérience).
J’ai pour opinion que lorsque les tâches des membres d’une équipe sont affectées nominativement avec une durée précise et très contraignante par une personne extérieur au groupe nous ne sommes pas agiles car nous ne respectons pas les personnes, ni leur faculté de s’auto-organiser. J’ai pour opinion que si une équipe se compose uniquement d’un certains types de profils dits techniques et qu’ils travaillent en autarcie l’un des objectifs de l’agile n’est pas atteint en ce qu’il préconise de la collaboration au travers de différents profils qui doivent apprendre à travailler ensemble. Le second exemple me parait moins “grave” que le premier car il enfreint moins de valeurs et de principes. (Si on me demande de mettre des “notes” à ces opinions j’en suis capable, comme je suis capable de donner un tarif avec des chiffres à ces missions, et comme mon banquier me réclame une certaine somme en fin de mois pour ma maison : les chiffres ne sont qu’une convention).
Avoir une opinion sur votre agilité ? observez vos processus, votre principes, vos valeurs relativement à ceux et celles proposés par l’agilité. Essayez de vous projeter par “opinion négative”. Avant toute chose il faut être au courant de ce qu’est l’agilité (c’est probablement pour cela que la question de l’auditeur (tiens un autre sens au même mot) de la session Agile/CMMi m’a d’abord surprise).
Pour finir,
Les valeurs sont peu nombreuses, pour essayer de faire une métaphore : elles forment des piliers massif d’un immense hall où vous pouvez à loisir vous organiser comme bon vous semble. Ces valeurs sont les seules contraintes mais elles sont indispensables, sans elles le hall s’effondre. Si vous respectez ces piliers, libre à vous de faire comme il vous chante, et c’est cette liberté qui est source de richesse et d’innovation, de progrès. Dans l’agile on parlera de contraintes libératrices (je crois que Thierry @thierrycros qui m’a soufflé l’expression qui vient de Paul Valery) : “contraintes libératrices dira le poête comme le géomètre, “les oeuvres à grandes contraintes exigent et engendrent la plus grande liberté d’esprit” [pioché ici].
Voici donc un complément à ma réponse : pour bien appliquer l’agile ayez des contraintes fortes liées aux valeurs ou aux principes ou aux pratiques de vos méthodes agiles et respectez les impérativement. Les valeurs sont indispensables, faites votre choix dans les principes et les pratiques mais attention l’atomicité est très importante.
Quelques exemples pour me comprendre cette notion de “contrainte” :
- Scrum : Le product owner est responsable du backlog, des priorités et de la validation. Est-il vraiment responsable ?
- XP : Appropriation collective du code : tous les developpeurs peuvent-ils agir sur toutes les parties du code, même celles qu’ils n’ont pas écrites ? Le peuvent-ils véritablement ?
- Amélioration continue : y-a-t-il une véritable réflexion sur l’amélioration continue avec de véritables actions prises ?
D’où aussi l’importance prédominante des moments d’interrogations ,d ‘analyses et d’amélioration. La rétrospective est l’élément phare et révélateur d’une pratique agile.
Naturellement on n’est jamais totalement accompli , on tend vers l’agile, vers une application idéalisée de toutes les valeurs.