Pourquoi souvent personne ne veut mettre son organisation en mouvement ?

Et pour de bonnes raisons…

Bonjour,

Me voici parmi vous. Je suis Pablo Pernot, d’une part coach en organisations, d’autre part DG de beNext. De quoi aimerais-je vous parler ? Pourquoi me proposer de vous parler ? Probablement pour évoquer les organisations. J’en croise assez. Donc évoquer les réflexions basées sur mes expériences passées me semble adéquat. Et peut-être pour évoquer celle qui est la mienne, et avec laquelle je vis depuis plusieurs années, beNext.

Aujourd’hui, pour rassembler tout cela, je vais vous parler d’une organisation fictive, que beaucoup de personnes connaissent ou ont connue, ou connaîtront. Cette organisation est assez grande, pas toute jeune, cette organisation a fait ses preuves. Elle est un acteur du marché. Peut-être pas le meilleur, mais un acteur qui compte, mais peut-être le meilleur. Elle vit cette organisation, elle est rentable. Elle vit probablement bien même. Mais est-ce que cela va durer ? Tout le monde sent bien que le monde est plein de remous, que les acteurs d’aujourd’hui ne sont plus acteurs d’hier. On parle de l’espérance de vie des entreprises, qui est passée de 60 ans pour les organisations créées au milieu du XXe siècle, à une quinzaine d’années pour celles du XXIe siècle. Ça change tout. Avec 60 ans d’espérance de vie on faisait toute sa carrière dans la même entreprise, avec quinze années ce n’est plus la même histoire. Qui dit que votre organisation sera encore vivante dans cinq ans ? Cinq ans pas de souci me répond généralement cette organisation fictive. Mais dix ans ? Plus personne n’est aussi affirmatif. Est-ce que vous vous imaginez tous dans dix ans ne plus faire partie de votre organisation, qu’elle n’existe plus ? Pour certains c’est facile, pour d’autres c’est plus dur. Et puis cette organisation fictive est un acteur du marché, elle fonctionne, même bien. C’est trop injuste, mais l’environnement a trop changé pour avoir des certitudes. Et ce qui a marché ne marche plus.

Il y a une émotion.

Alors voilà, c’est le branle-bas le combat. On va se transformer. On va changer. On va s’adapter. Pire cela pourrait être “agile”, “lean”, “digital”. Et on vient voir des personnes comme moi pour être accompagné à travers cette “transformation”. Par ce que l’on veut des certitudes, préserver avec certitudes ses acquis, ses habitudes, avoir des garanties que cela va marcher. Ou que cela ne soit pas notre faute si cela ne marche pas, il ne faut pas oublier cette variante. Beaucoup de personnes qui reçoivent l’injonction “il faut se transformer” l’attrapent comme il se doit : c’est vide de sens. Alors, se mettre en risque pour quelque chose vide de sens, très peu pour eux, et je les comprends. Et puis tout marche depuis si longtemps, et tout marche comme convenu. Je déroule mon plan de carrière, je fais mon temps (c’est bien çà : faire son temps) dans l’entreprise, et je serai récompensé au fil du temps. Je peux avaler des couleuvres, oublier mes convictions, j’ai la sécurité d’un parcours. Rien ne peut vraiment nous arriver, on peut construire une petite vie sympa sur le temps qui nous reste autour. On sent bien que l’organisation ne répond plus vraiment bien au monde qui l’entoure, qu’elle est secouée, trop lourde, trop lente, trop engluée dans ses habitudes justement, mais cela semble tellement loin. Cela va bien tenir quinze ans, d’ici là je serai à l’abri (pour le grand chef en haut de la pyramide c’est une posture pas si éloignée : je n’ai qu’à tenir trois ans, cinq ans, après le suivant la suivante se débrouillera). Comment imaginer que des personnes qui sont entrées dans cette organisation fictive dès leurs sorties d’écoles et qui se voient y finir leur temps, s’imaginent se transformer radicalement, ou que l’entreprise disparaisse, c’est inaudible. Ou ceux qui après avoir bravé les affres du Far West du “consulting” ont pu faire le nid ici en échangeant liberté et acuité pour la sécurité et peut-être un meilleur levier pour changer les choses, ou construire quelque chose. Aujourd’hui la plupart ont oublié, ils ont été cannibalisés, sclérosés par la sécurité. Comme le contrat c’est de faire son temps, on fabrique sa petite vie à côté avec le temps qui nous reste.

Il y a les grands chefs qui ont leurs réseaux et qui passent d’une organisation à une autre. Et les petits chefs qui ont fait ce pari de l’organisation sur la durée. Et maintenant les grands chefs (qui sont là pour cinq années maximum parfois) engagent les petits qui ont parié sur la stabilité de la structure à se transformer, à tout remettre en question. C’est fort de café. Pour les petits chefs bien souvent il suffit d’attendre cinq ans et le grand chef suivant. Et pour ceux qui ne sont pas chefs ? Hein ? Cela intéresse quelqu’un ceux-là ?

Mais si tout cela était vrai ? Qu’aujourd’hui, oui, aucune organisation n’a de garantie de survivre comme c’était le cas auparavant. Que les règles du jeu ont changé. Et si c’était vrai que les grandes organisations seraient comme des châteaux de sable si elles ne s’adaptaient pas à ces nouvelles règles ?

C’est inaudible pour les gens de cette organisation fictive nous l’avons dit. Ils sont majoritairement désengagés, à la recherche de la sécurité d’un parcours promis initialement. Ils ne comprennent pas pourquoi ce qui a toujours fonctionné ne fonctionne plus. Et dans cette grande organisation fictive, la plupart ne sont pas au contact du client, de ce pour quoi l’organisation existe.

C’est d’autant plus inaudible que si on me pose la question : est-ce que la transformation va fonctionner ? La réponse est nécessairement : je ne sais pas. Quelle forme va prendre la transformation ? Je ne sais pas. Est-ce que toute l’organisation sera impactée de façon identique ? Je ne sais pas. Que vais-je devenir ? Je ne sais pas. Combien de temps cela prendra-t-il ? Je ne sais pas. Est-ce que tout le monde va garder son emploi ? Je ne sais pas. Est-ce que la carrière que nous avons entamée pourra rester la même ? Je ne sais pas. Quelqu’un qui répondrait autrement aurait pour volonté de vous cacher la réalité pour une bonne ou une mauvaise raison. Celui qui s’achète des réponses, veut s’acheter une sécurité : “ce n’est pas ma faute” voilà ce qu’il achète peut-être.

Avec tous ces “je ne sais pas” ça va être d’autant plus ardu de se faire entendre. Mais que sait-on, que pourrait-on savoir alors ? À quoi s’accrocher si on ne sait pas si cela va marcher ? Quelle forme cela prendra si cela marche ? Quelle forme cela prendra si cela ne marche pas ? Quand ? A quoi s’accrocher ?

Si le temps de l’organisation sous cette forme était plus court que prévu, que tout cela était vrai, à quoi s’accrocher ? Qu’est-ce que l’on sait ? Qu’est-ce qui fait sens ?

À votre identité : ce que vous êtes, ce que voulez-vous, à quoi répond l’organisation, au pourquoi de son existence. Et vous ne voulez pas vous transformer, être agile, être digital, changer. Tout cela n’a pas de sens, il ne s’agit que de moyens. Vous voulez vous transformer pour devenir quoi ? Être agile pour mieux réussir quoi ? Être digital pour répondre à quels enjeux ? Et ça vous pouvez savoir, mesurer : est-ce que vous gagnez ces nouveaux marchés ou vous les perdez ? Que pensent vos utilisateurs de vos services ? Quels services marchent et lesquels ne marchent pas et que souhaitez-vous à leur sujet ? Êtes-vous réactifs sur les offres déclenchées par les concurrents ? Est-ce que vous agissez en fonction de votre identité, de vos convictions ?

Est-ce que l’on va gagner ces nouveaux marchés alors ? Je ne sais toujours pas. Mais on peut mesurer régulièrement l’impact de nos décisions. Quels nouveaux services vont satisfaire nos utilisateurs ? Je ne sais toujours pas, mais on peut mesurer régulièrement l’impact de nos décisions. Est-ce que vous agissez selon votre identité et vos convictions ? Je ne sais pas, mais on peut l’observer, le mesurer.

Je ne sais pas quoi ni comment, mais je peux savoir qui je suis ou qui je veux être et pourquoi. Et le quoi et le comment suivront.

On ne se transforme pas, on avance dans cette direction. Là on peut mesurer des choses qui font sens, et même si on ne sait pas les mesurer là, on saura les mesurer.

Donc il faudrait essayer, si vous pensez comme moi, que les choses ne vont pas demeurer ainsi. Que cinq ans oui l’organisation fictive tiendra, mais que dix ans c’est un pari. Et si votre essai échoue ? Franchement vous n’avez pas grand-chose à perdre, vous serez mieux armés pour la suite quoiqu’il arrive, vous n’aurez pas pire que de ne rien faire, et peut-être vous gagnerez en fierté, en estime de soi, en ne faisant pas votre temps, mais en étant un acteur. Dans cette organisation fictive les yeux tournent à ce moment, la plupart pensent, “faut dire ça à mon chef”, et croyez moi cette réplique ne s’arrête jamais même les directeurs généraux peuvent évoquer leurs conseils d’administration, leurs actionnaires.

Est-ce qu’il s’agit d’essayer durant des années ? Est-ce que c’est vraiment essayer quand cela prend autant de temps ? Essayer c’est nécessairement sur une petite période, des petites périodes qui s’accumulent, comme des petits pas.

Je recommence.

Si donc les organisations ont une espérance de vie de quinze années de nos jours. Ou, disons elles ne sont jamais les mêmes dans quinze années, elles se doivent de faire des mues. Mais c’est inaudible pour des personnes a qui on a promis toute autre chose, qui sont loin du terrain, en tous cas loin des utilisateurs finaux, qui ont abandonné tout engagement pour se conformer au parcours qu’on leur a promis. C’est d’autant plus inaudible que l’on est bien incapable de dire à quoi va ressembler le futur de cette organisation, que l’on ne peut pas répondre avec précision aux questions soulevées. Enfin comment engager des personnes avec des invectives vides de sens comme “transformation digitale” ? On ne sait pas ce que cela veut dire, ce n’est pas une finalité, juste un moyen. Mais un moyen de quoi ? Ça, on pourrait le mesurer. Par exemple, on souhaite que l’information circule plus vite dans l’organisation : ça, on pourrait avoir des réponses, le mesurer, l’observer, et ainsi s’interroger sur comment le changer, le transformer. Par exemple, on souhaite atteindre une nouvelle population d’utilisateurs, ça, on pourrait le mesurer, l’observer, s’interroger, s’améliorer. Et là oui on peut évoquer une transformation nécessaire. Je crois que l’organisation fictive que j’évoque a besoin de s’interroger sur qui elle est, ce qu’elle veut, et de s’interroger et essayer de s’améliorer constamment (et donc de se transformer constamment). C’est le monde qui veut cela, ne pas l’entendre me paraît être une erreur.

Encore une fois.

C’est normal de ne pas vouloir changer. C’est normal. Est-ce que c’est possible de ne pas changer ? Rien n’est moins sûr. Mais je ne pourrais pas vous convaincre. C’est comme la question de nos habitudes et du changement climatique. On ne peut pas le percevoir. La cause et l’effet ne sont pas facilement associés pour notre cerveau. Et puis c’est là.

Ce n’était pas censé arriver.

Ce n’était pas censé arriver.

C’est ce que devaient dire les Néandertal, les Mayas, les Indiens, les traders en 1929 ou 2008, les équipes de Kodak ou Yahoo, les chaînes françaises face à Netflix, ma banque avec N26, les taxis avec Uber, mon boulanger de son nouveau voisin chinois qui fabrique du pain sans four, cette femme quand cet homme l’a quitté, ou vice verca.

Ce n’était pas censé arriver bon sang !

Et vive les autruches ! Nous c’est différent !

En fait je ne vous demande pas de changer. Je vous demande juste de faire ce qu’il faut pour cette organisation fictive. Pas par habitude, pas parce que c’est politiquement correct. Faire ce qu’il faut pour que l’organisation aille dans la direction de ce pour quoi elle existe. D’abord faire simplement ce pour quoi cette organisation fictive existe. Son sens. Le changement devient alors un effet de bord. Un dommage ou un bénéfice collatéral.

Les organisations fictives que je croise se trompent souvent, elles désignent les moyens comme cible. Elles oublient de donner du sens. Et je ne parle pas de sauver le monde. Juste de donner du sens. Pas de tyrannie d’une vision qui se devrait d’être superlative, grandiose. Juste donner du sens. Mais pas des questions de moyens, des questions de finalité.

On dit qu’il existe trois types d’organisation, celles qui sont fermées, arrêtées, ouvertes. Ouvertes : elles sont conscientes qu’il faut avancer dans cette direction et elles essayent. Arrêtées : elles sont d’accord qu’il faut avancer dans cette direction, mais tu comprends on ne peut pas parce que… et celles fermées, qui ne voient pas pourquoi il faudrait avancer, ni même bouger. Pour ces dernières il faut attendre qu’elles se sentent prêtes en espérant qu’il ne sera pas trop tard. Et puis il a des avancées qui révolutionnent l’organisation, la réforment complètement, elles bousculent complètement leurs identités, leurs sens. Et des avancées qui rendent simplement des organisations dysfonctionnelles fonctionnelles sans changer leurs fondements.

Dans ce monde changeant, si on veut cette capacité à s’interroger et s’améliorer constamment dans le but d’atteindre un objectif (atteindre une nouvelle population d’utilisateur, que l’information circule plus vite), il va falloir engager les personnes. L’inverse de ce qui se produit généralement dans cette organisation fictive où l’on dit aux gens quoi faire, comment le faire, sans donner de sens. Et où ils agissent sans vraiment s’investir avec le geste exact, mais minimum et sans grande valeur, qu’on leur a demandé de réaliser en achetant la paix pour tous, le confort de quelque chose de connu et prévisible, mais largement en dessous des besoins. Et sans aucun regard qui pétille.