Les organisations vivantes

Sommaire

  1. Penser organique
  2. Dynamique DES formes
  3. Choisir sa voie ?
  4. Éléments constituants
  5. Changer la trajectoire de nos organisations
  6. Monde agile, monde complexe
  7. Conclusion

Chapitre 2 : Penser organique

« The bigger we got, the colder we became » – Steven Adler, Guns ’n roses

Nous avons ainsi rapidement dressé une sorte de ligne de temps : le Fordisme, le Toyotisme, et donc le Lean, puis l’Agile. Chacun répondant aux contraintes et attentes de son époque. Quelles sont les caractéristiques de l’époque qui s’ouvre à nous ?

Indéniablement la complexité des dernières années fait partie de ses caractéristiques. Cette complexité est d’ailleurs en expansion, propagée par l’accélération des découvertes, et surtout des moyens de communication, et la mondialisation qu’elle a engendrée disent certains.

Ces moyens de communication sont probablement la deuxième
caractéristique de nos temps : instantanéité, village global, immatériel
les relations et les richesses changent.

Troisième point et non des moindres : les anciennes richesses périclitent : non pas uniquement, car elles s’amoindrissent, mais parce qu’elles disparaissent. Nous les avons usées en même temps que notre planète. Sans sombrer dans la démagogie il paraît essentiel de comprendre qu’il va falloir optimiser, économiser, nos ressources, de tous types. Nous entrons dans une ère de la frugalité.

Complexité, immatérialité, économies de ressources : c’est le cadre de nos nouvelles organisations.

Je défends une vieille idée assez commune : nos organisations ne doivent pas être pensées comme un assemblage rationnel cartésien, mais comme un tout organique, mouvant. Ce n’est ni original ni nouveau. C’est l’approche organique et complexe défendue par beaucoup depuis des années. Cependant, si l’idée n’est pas nouvelle, la situation l’est devenue. Nous y sommes : ce moment où le concept est devenu réalité, nous avons besoin de (re)penser nos organisations selon cette idée. J’espère vous expliquer ce qu’est une organisation vivante et comment transformer nos organisations pour aller vers ces nouvelles organisations.

Une organisation organique ?

Mais d’abord qu’est-ce qu’une organisation ?

L’organisation désigne l’action, mais aussi le résultat de l’action de celui qui délimite, structure, agence, répartit, articule1.

Elle traduit, au niveau des moyens, l’expression d’une volonté par :

Structure

Un schéma de pensée non cartésien

Ainsi, c’est trop aisé de ne penser nos organisations que comme des structures géométriques simples, claires, sous-entendu rectilignes, carrées. C’est une facilité de l’esprit, un déni de la réalité. Naturellement pour le management en place, la direction, la hiérarchie, les décideurs, du moins ceux qui s’obstinent dans cette vision simpliste c’est du confort. On décrit nos organisations comme le dessin à droite, bien ordonné, personne n’est dupe, c’est un déni de réalité.

Sapin - Image twitter, @organizedthings

Le sapin bien rangé dans la case de droite est tout simplement mort, donc inerte, il ne produit plus rien. Levez la tête dans les étoiles, voilà une organisation à grande échelle ! Là aussi inutile d’y chercher un quelconque organigramme ou diagramme qui puisse correspondre à l’une de nos organisations. Ce qui est bien rangé, à droite dans le dessin, c’est de la science-fiction.

Espace - Image twitter, @organizedthings

Ne cherchez pas la vie, l’évolution, dans des éléments statiques, inertes. Même chez nous, les humains, toute vie et de facto toute organisation ne s’embarrassent pas de schémas confortables basés sur des tracés rectilignes. Dans la case de droite, cet enfant semble bien malheureux.

Enfant - Image twitter, @organizedthings

Piscine - Image twitter, @organizedthings

Á aborder nos organisations comme des machines, c’est la folie qui nous guette.

Il ne faudrait pas aborder nos organisations avec une structure classique, organigramme à l’appui, mais avec un schéma de pensée. Mais si donc ce schéma ne s’appuie pas sur nos dérives cartésiennes, sur quoi peut-il bien se baser ?

Les motifs que nous prenons en référence ne sont manifestement pas les bons. Mais où trouver les bons schémas ? Simplement en ouvrant les yeux et en observant ce qui fonctionne autour de nous, dans la nature, comme nous venons de le faire sur certaines des images précédentes (l’espace, le sapin, par exemple).

Si la nature, l’organique, parce qu’elle répond au monde complexe actuel, doit de nouveau nous servir d’exemple, où chercher ? La nature elle-même nous apprend qu’il n’y a pas de solution, du moins de bonne solution, elle nous apprend l’adaptation. Et, elle propose des choses très différentes, aux antipodes l’une de l’autre.

Penchons-nous sur deux extrêmes pour évoquer des métaphores d’organisations vivantes : d’un côté le cristal, probablement l’un des éléments les plus organisés (pour l’esprit cartésien qui nous habite), et de l’autre la termitière qui recèle quelques surprises.

Le cristal

Nous évoquons le cristal comme structure naturelle organisée, car sa caractéristique est d’être périodique, c’est-à-dire qu’il se bâtit sur la même combinaison qu’il répète, périodiquement2. On retrouve là une vieille ambition de nos organisations : reproduire le même schéma, presque à l’infini, pour grandir, grossir, et faciliter sa gestion (reproduction des mêmes gestes).

De fait, le cristal est utilisé comme un conducteur efficace d’énergie ,car la périodicité de sa structure provoque une économie substantielle. En rencontrant les mêmes schémas, on économise un coût énergétique de communication qui évite une adaptation constante. La nature, chez le cristal, nous enseigne qu’en répétant des structures identiques on économise ou on optimise le coût en énergie de communication.

Au-delà de cette périodicité qui le rend si cartésien, le cristal demeure un élément complexe, non prédictible dans sa forme.

« La cristallisation est le passage d’un état désordonné liquide, gazeux ou solide à un état ordonné solide, contrôlé par des lois complexes. La fabrication d’un cristal se déroule sous le contrôle de différents facteurs tels que la température, la pression, le temps d’évaporation ». – Geowiki3

Le cristal est fainéant

« Pour comprendre mieux la raison de la forme d’un cristal, il ne faut pas ignorer que la nature est fainéante et que lorsqu’on lui laisse le choix et le temps, elle choisit toujours les solutions qui lui coûtent le moins d’énergie. Ainsi, la forme d’un cristal témoigne des conditions physiques qui prévalaient lors de sa croissance, car c’est la forme qui a coûté le moins d’énergie ». – Geowiki

Ainsi si le cristal répète une structure à l’infini, cette structure est définie par son contexte. Ce n’est pas une forme prédéterminée. La fainéantise est une aubaine, là aussi, en termes de coût énergétique. La nature, chez le cristal, nous enseigne que la structure prendra la forme la plus économique en terme énergétique. La frugalité est clef.

Stabilité du cristal

« Après cette ébauche de raisonnement, il faut savoir que les choses ne sont pas toujours aussi simples. Une face cristalline est aussi une discontinuité, une surface où les atomes ne sont pas liés chimiquement comme les atomes du cœur du minéral. Cela revient en quelque sorte à casser des liaisons (l’approximation est un peu brutale, mais correcte). Or dans le milieu de croissance, des espèces solubles sont capables de s’absorber à la surface en se liant faiblement avec les atomes de la surface. On peut stabiliser des plans qui coûtent normalement très chers, et en déstabiliser d’autres qui sont normalement faciles à payer. Ainsi on modifie la forme finale du cristal cette fois-ci sans modifier les conditions physiques. Ces phénomènes de stabilisation peuvent ainsi induire des morphologies cristallines qui ne devraient pas être habituellement observées. Quand des espèces chimiques s’absorbent en surface et donc stabilisent les plans présentés, ces surfaces sont moins accessibles pour continuer la croissance suivant ces plans. Ainsi ce sont les plans les moins stables, ceux qui ont peu, voire pas, de molécule en surface, qui croissent le plus vite.Comme ces plans sont instables, ils finiront par ne plus être représentés lors de la croissance, privilégiant ainsi la croissance lente des plans les plus stables ». – Geowiki4

Si nous continuons notre analogie, on sera surpris par la facilité à stabiliser certains pans de l’organisation, et à l’inverse en déstabiliser certains –pourtant pensés comme stables– de façon inattendue. La mise à l’échelle est plus aisée avec les éléments qui n’ont pas encore été stabilisés dans l’organisation. La dynamique de la mise à l’échelle se ralentit nécessairement quand toutes les parties seront stabilisées. Faudrait-il donc presque encourager par moment la déstabilisation ?5 La nature, chez le cristal, nous enseigne que ce qui est stabilisé demande un coût énergétique plus fort pour être changé, et donc que ce sont les parties non stables qui évolueront le plus vite, et le plus probablement.

La troncature du cristal

La troncature est une des sources de modification du cristal.

« Une troncature c’est le remplacement d’un sommet ou d’une arête d’un cristal par une face ». – Geowiki6

« Une des causes modifiant la forme initiale des cristaux est la troncature ». – Geowiki7

Est-ce une métaphore qui nous indiquerait que c’est en changeant la tête, le sommet, que l’organisation prendra une nouvelle forme ? Faut-il voir là l’idée que c’est en redonnant un pouvoir d’auto-organisation à chaque groupe, en supprimant la tête, qu’on lui permet de se s’organiser, d’une façon complexe, de se cristalliser au mieux avec le reste des parties de la compagnie ?

Gestion des dépendances : les macles ?

« Selon la position des cristaux on distingue des macles par accolement et des macles par pénétration (ou interpénétration - plus ou moins complète). On parle de macles simples lorsque deux cristaux sont associés, et de macles multiples lorsque plus de deux sous-individus composent la macle, on en arrive parfois, par multiplication des sous-individus impliqués, à des macles cycliques, alors que lorsque la formation de macle se répète à l’intérieur d’un groupe, on obtient des macles polysynthétiques (répétées) ». —- Geowiki8

Si nous nous amusons à pousser l’analogie loin, les macles seraient ces amas d’équipes associées…Le vocabulaire utilisé par la science des cristaux rappelle furieusement les situations vécues.

Les enseignements du cristal

En reproduisant le même schéma, on réduit le coût énergétique de communication. Mais ce schéma est déterminé par le contexte, et notamment par son coût : c’est le schéma qui coûte le moins cher en énergie qui est plébiscitée par la nature. Évolutions et améliorations de la structure du cristal sont plus simples dans les parties non achevées, encore désordonnées.

L’analogie avec nos organisations paraît claire et réaliste.

La termitière

De l’autre côté du cristal cartésien, de notre imaginaire sur les formes de la nature, observons la termitière. Pourquoi à l’autre bout ? Car si le cristal pouvait paraître organisé naturellement (toutes ces belles structures, ces approches fractales), la termitière semble complètement empirique. Et elle l’est : sa construction débute …au hasard. Mais comme la nature fait bien les choses, les termitières sont les plus grandes constructions qui ne soient pas humaines. Le cristal est un matériau, la termitière est une construction. Les mettre sur la même échelle est peut-être osé.

Voyez la termitière comme une construction très intéressante. L’une des plus intéressantes si on l’observe avec la réflexion de J.Scott Turner en tête :

« Je souhaite creuser une idée : que les édifices construits par les animaux sont en fait des parties externalisées de leur physiologie ». « Une termitière est comme un organisme vivant, dynamique et constamment maintenu »9.

Dans quel but les termites fabriquent-elles ces extensions physiologiques que sont leurs termitières ? Toujours pour des questions énergétiques, pour économiser de l’énergie, stocker de l’énergie, déporter un effort énergétique.

Est-ce que l’on peut faire une analogie avec nos organisations ? Probablement. Quelles seraient les énergies évoquées ? D’abord bien évidemment la valeur créée par l’organisation, premier flux d’énergie. Mais aussi l’optimisation des énergies entrantes : celles de ses collaborateurs (implication, engagement), celles de la matière première qu’elle utilise (électricité, etc.). Une énergie entrante, une valeur sortante. On ne parle que de flux, de transformation.

C’est l’occasion qui fait le larron

Tout comme le cristal était fainéant, la termitière naît d’une opportunité. C’est l’occasion qui fait le larron. Les termites font des tas, et quand une opportunité se présente pour bâtir la termitière (des tas qui peuvent être assemblés), c’est la termitière qui est bâtie. La nature, là aussi avec la termitière, nous enseigne que la forme et la structure ont pour but une optimisation énergétique (ici il est question de température).


  1. Wikipedia sur organisation ↩︎

  2. Conversations avec mon frère, chercheur, spécialiste du cristal ↩︎

  3. Comment se forment les cristaux ↩︎

  4. Comment se forment les cristaux ↩︎

  5. Dans les commentaires Nicolas Delahaye indique que pour plus approfondir cette approche : Nudge marketing: Comment changer efficacement les comportements de Eric Singler et Makestorming: Le guide du corporate hacking de Marie-Noéline Viguié, Stéphanie Bacquere. ↩︎

  6. Troncatures ↩︎

  7. Troncatures ↩︎

  8. Les macles ↩︎

  9. J.Scott Turner, The extended organism, “I actually wish to explore an idea : that the edifices constructed by animals are properly external organs of physiology.” ↩︎