Professionnalisation agile
Dans les conférences auxquelles j’ai participé au printemps, un mot battait son plein : professionnalisation. Lassé de voir le succès marketing du mot agile le vider de son sens, lassé de voir une armée de débutants ravager des notions qui ont mis du temps à émerger, chacun y allait de son envie de protéger, de délimiter, de réaffirmer son métier dans l’agilité, qu’ils s’agissent des coachs, des devs, ou de n’importe quelle autre position.
Certains envisagent une certification. Encore une autre, alors que 100% des certifications ont montré leurs inutilités, et pire leur aspect nuisible. Mais oui le marché les demande (pour de mauvaises raisons). D’autres suggèrent des groupes de reconnaissance par les pairs. “Si tu appartiens à ce groupe, c’est un gage de professionnalisation”. Peut-être. Mais de nombreuses personnes de qualité n’en feront néanmoins pas partie. Et des gens bien peuvent se perdre en route, on est tous cycliques. Ainsi sur une structuration de la reconnaissance de la professionnalisation je n’ai pas de solution. Je ne crois pour le moment qu’au bouche-à-oreille, ou aux actes : je peux voir ce que cette personne a réalisé, ce qu’elle a produit, l’univers qu’elle a bâti autour d’elle. Je n’écoute pas ce qu’elle dit d’elle, je regarde ce qu’elle fait. Et je reviens au bouche-à-oreille.
Mais sur la question de la professionnalisation elle-même je pourrais avoir mon avis. C’est quoi un ou une bonne professionnelle ? Je ne vais pas dresser un portrait spécifique, il peut y avoir de nombreux bons professionnels qui se comportent très différemment, qui sont de nature très différente. Ils peuvent être doux, durs, patients, impatients, etc. Ils seront à mes yeux de bons professionnels tant que …
Trois piliers du professionnalisme agile ?
a) Ils comprennent bien les principes et la philosophie de ces approches agiles. Cela provoque une intégrité et une cohérence dans leurs réponses. De fait ils peuvent adapter leurs réponses au contexte en sachant respecter les principes qui fondent ce mouvement de pensée.
b) Ils cherchent à répondre aux besoins du client. Cela parait évident. Et pourtant, combien de fois j’ai vu des gens tout simplement tester leurs ateliers, ou leurs framework en dépit d’un quelconque besoin derrière. Et j’ai presque envie de dire : ils répondent au besoin de la situation en accord avec les principes agiles, car ce n’est pas toujours le client qui connait comprend ou exprime le réel besoin, mais c’est un autre sujet.
c) Ils peuvent dire non quand le besoin client, ou la posture du client ne permettent pas de faire avancer les choses dans le bon sens. Ils ont donc une autonomie (financière, pouvoir de décision) à arrêter l’accompagnement (et à expliquer pourquoi), ou à conditionner la poursuite de celui-ci. (Il ne s’agit pas ici cependant d’être buté ou despotique, et de faire fi de la conduite du changement, vous m’avez compris).
Quand un de ces piliers est fragilisé ou absent, les autres en pâtissent.
Si vous ne connaissez, ni ne comprenez bien, les principes et la lecture du monde de ces approches agiles, vous répondrez à côté de la plaque à votre client, ou vous déroulerez une pseudo-recette (seul échappatoire factice qui fait croire que vous savez ce que vous faites).
Si vous ne répondez pas au besoin du client, impossible de juger d’une quelconque amélioration, et si par hasard elle se produit, impossible de s’appuyer dessus pour avancer.
Si vous ne pouvez pas dire non au client, ou à votre chef, votre action va perdre toute cohérence et intérêt. (La possibilité de dire non, pas l’obligation).
Creusons un peu
J’imagine cependant rapidement que ces trois piliers édictés aussi simplement vont satisfaire trop facilement pas mal d’égo. On va mettre des tests dessus.
Test de la connaissance agile
- Vous savez expliquer chacune de vos propositions en explicitant les principes qui se cachent dessous. Ce que vous recherchez, pourquoi ces principes sont importants, et en quoi ils sont “agiles”.
- Vous savez faire des propositions sans utiliser aucun jargon, aucun mot clef, aucun nom propre.
- Chacune de vos propositions appartient à un système cohérent. Aucune ne met en porte-à-faux une autre.
Exemple d’un dialogue : Pour avoir une approche qui développe régulièrement des choses finies sur lesquels on peut jeter un vrai regard, avoir un vrai avis, faire de vrais tests, il faut découper notre besoin d’une certaine façon, et il faut des équipes bâties pour réaliser cette approche « bout en bout », ainsi il faut des équipes hétérogènes, et pas des équipes par expertise.
Test de la réponse au besoin client
Normalement vous travaillez sur un dérivé de :
- Faire aboutir leurs projets.
- Ne pas perdre trop de temps, trop d’énergie, trop de ressources à essayer d’avancer.
- Avoir quelque chose qui fonctionne bien.
- Avoir quelque chose qui intéresse ou qui est utile.1
- Assurer la survie de l’organisation si une partie de l’organisation disparaît.
Pourquoi parce que vous travaillez pour une organisation qui a un but. Tout devrait tendre vers ce but (à part la question de la survie). Si vous me dites que vous travaillez sur le bien-être des gens, je vous répondrai que c’est un moyen, et qu’il vous faut connaitre le but. Si vous n’avez pas besoin de connaitre le but, vous êtes peut-être un très bon professionnel, mais vous ne travaillez pas dans l’agilité.
Je fais un atelier pour qu’ils se connaissent mieux. NON. Je fais un atelier pour qu’ils se connaissent mieux parce que je pense que cela aidera à mieux faire fonctionner les réalisations du groupe. Je ne vais donc pas être sensible au fait qu’ils se connaissent mieux, mais je serai sensible à la question de en quoi le fait de se connaitre mieux amènera un plus et ainsi fera que le fonctionnement de leurs réalisations soit meilleur. Cela changera tout. Et peut-être même complètement mon mode opératoire, mon choix d’accompagnement, etc.
Capacité à dire non
Là la réponse est évidente si on est assez honnête avec soi-même. Vous savez très bien si vous avalez des couleuvres ou s’il y a un vrai dialogue avec votre client ou vos responsables hiérarchiques (si vous en avez). Dans ce dialogue vous pouvez dire non, et on peut vous dire “si quand même on essaye”, ça arrive, c’est normal, et vous essayez. Mais si on n’écoute jamais vos propositions et que vos non ne sont jamais ou trop rarement entendus, vous le savez très bien. A vous de prendre la bonne décision à ce moment. Ce n’est pas immédiat. J’ai comme principe de me dire qu’il faut donner trois/quatre mois de chance à ce dialogue de s’installer. Si sur une période de trois à quatre mois vous n’avez pas été entendu, il faut quitter.
Mais le pouvez-vous ? Peut-être que malgré toute votre bonne volonté, il vous faut ce contrat et l’argent qui va avec. C’est compréhensible. Vous comprendrez aussi que cela vous enlève du professionnalisme, car vous savez pertinemment que vous ne répondez plus au besoin client, mais à votre besoin, de gagner de l’argent pour vivre (ce qui est légitime).
Ne pas être un bon professionnel
Aucun problème, c’est tout naturel, c’est un cheminement. Tout va bien si vous tendez à en devenir un. Rien ne va si vous vous complaisez dans les erreurs vues plus haut : vous récitez des recettes sans comprendre, vous ne répondez pas aux besoins, vous ne pouvez jamais dire non (c’est la possibilité de dire non, pas l’obligation).
D’ailleurs on tend toujours vers cette bonne direction. Les contextes, les moments de vie, les phases d’accompagnement, son parcours, ça remue, et l’on doit tendre vers ce professionnalisme, cette qualité de présence agile.
Je ne dis rien de difficile à comprendre, mais il faut le faire.
Cela fait partie du texte La disparition. ↩︎