Être engagé ? (partie 1)

Un peu partout fleurissent les invocations : soyez heureux, soyez motivés, soyez impliqués, soyez responsables, être heureux, happiness chef blabla. Mais cela ne se décrète pas. Concernant l’engagement, concernant l’implication, ce n’est pas une injonction à laquelle on peut répondre. Vous ne pourrez pas décider de rendre telle ou telle personne motivée. Mais vous pouvez créer un cadre, un contexte, qui permettent à ces personnes d’être motivées, impliquées. On voit régulièrement revenir ce message : une très petite part des employés dans le monde se sentent impliqués.

Dans le manifeste agile il y a un principe où il est écrit : faîtes des projets avec des gens motivés. Généralement on s’esclaffe à ce moment. Naturellement que les projets marchent avec des gens motivés. Quelle idée ! Et bien donc oubliez tout le reste, focalisez vous sur l’idée d’engager les personnes avec lesquelles vous travaillez.

Certains expliquent qu’entre une personne engagée et une personne non engagée la différence est énorme. Dans le Mythical Man Month l’auteur (Fred Brooks) exprime l’idée qu’une personne (en l’occurrence dans son cadre, un développeur informatique) à un ratio de productivité de un à dix selon le contexte. Sa capacité fluctuerait ainsi de un à dix selon le contexte. Mes observations -sur moi même et les autres- tendent à confirmer cette information. Et je pense que la grande part de cet écart viens de l’implication de la personne. Observez vous vous même à réaliser une tâche sur laquelle vous ne vous sentez pas impliqué, et une sur laquelle vous vous sentez impliqué, que vous vous êtes approprié. Personnellement je passe de dépité nonchalant peu inspiré à bulldozer frénétique grandement productif.

On ne peut pas décréter la motivation, ni l’implication, ni l’appropriation. Pourtant il y a un domaine, sujet d’études, où on découvre des personnes impliquées, engagées. Avec un haut niveau d’exigence. Quand quelque chose échoue, elles essayent d’autres façons, ne se laissent pas abattre, elles aiment chercher des alternatives. Même les plus introverties d’entres elles appellent des amis à l’aide ou vont lire la documentation. Car – faut-il l’évoquer ? – la documentation en ligne est pléthorique : guide du “nouveau/newbie”, vidéos, accompagnements, wikis, forums. Mais quel est donc ce domaine ? Les gens que j’évoque y passe plusieurs par semaine, voire plusieurs dizaines d’heures, et, cerise sur le gâteau, ils payent pour cela…

Il s’agit des jeux vidéos, et plutôt des joueurs de vidéos. Pourquoi donc cette implication dans ce domaine ? C’est exactement ce que nous recherchons dans nos organisations. Tous ces joueurs de jeux en ligne qui payent pour échouer, recommencer, apprendre, refaire, fournir une documentation de qualité, ne pourrait-on pas avoir le même engagement en entreprise ? L’industrie du jeu vidéo est florissante, comprenez qu’elle implique d’énormes sommes d’argent. Avant donc pour nous même d’en tirer des enseignements pour l’organisation, elle s’est interrogée sur elle-même car son succès est liée à l’implication qu’elle va engendrer. Les observations qui ont découlé de ces recherches sont une mine pour nous. À voir : Jane McGonigal et à lire : Reality Is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change the World de la même personne.

Mais alors que j’évoque ce sujet, je reçois le bulletin scolaire de mon fils aîné, Mathieu. Mathieu a de bons résultats scolaires mais le carnet indique que si Mathieu était impliqué il aurait de très bons résultats scolaires. Je cherche Mathieu :

En d’autres termes Mathieu est très impliqué dans son jeu, et ses résultats sont très bons. Qu’est ce qui manque à l’école vous récolter ce même engagement ? Qu’est-ce qui manque aux organisations pour avoir ce même type d’implication ?

Ce n’est déjà pas la compétition ou l’envie de gagner qui va faire cette différence. Je ne crois pas que l’on gagne réellement à Tétris ou Candy Crush Saga, ni réellement à aucun des jeux en ligne de mon fils, il perd autant qu’il gagne, ce n’est pas là sa réelle recherche. Ce dont nous avons besoin et ce que ces études sur les jeux vidéos nous enseignent est désespérément simple à énoncer, mais diablement difficile à mettre en œuvre.

Un objectif clair

D’abord un jeu qui engage a un objectif clair. Amusez vous à tester si votre projet, votre produit, votre organisation a un objectif clair. Facilement énonçable. Repensez à cette célèbre citation de Einstein : “si tu ne sais pas l’expliquer à un enfant de huit ans c’est que tu ne sais pas ce que tu veux”. Votre travail de dirigeants, de managers, c’est cette clarification.

Des règles claires

Je ne peux pas lancer de sortilège si je n’ai plus de points de mana, je ne peux pas cumuler le pouvoir de ces deux armes, mais tiens je pourrais utiliser les maisons pour protéger ma tour et pas l’inverse. Pour prendre cet espace qui fera toute la différence, il convient de clarifier la cible, l’objectif, mais aussi de délimiter le cadre dans lequel on peut s’épanouir, surprendre, imaginer, s’approprier. Vous devez clarifier les règles du jeu. Naturellement si vos règles sont trop contraignantes l’espace que vous proposerez sera faible.

Feedback, un regard en retour

Si je tue ce monstre j’obtiens 100 points, si je prends cette ville je gagne 10000 écus, ah mince il n’y avait rien dans ce donjon. Dans le jeu on sait constamment les bénéfices (substantiels ou catastrophiques) que nos actions entraînent. Dans l’organisation cela devrait être pareil. J’ai livré cette fonctionnalité mais elle n’a reçue aucun accueil favorable, alors que l’autre oui, mais pas de la façon attendue. Oui cette action a été reçue positivement, celle là non, celle-ci a déclenché cela, l’autre cela. Peu importe le résultat de votre activité, vous devriez le mesurer et le connaître, le faire connaître. Sans cela votre implication se réduira. A quoi bon travailler si on ne sait pas ce que devient le fruit de notre labeur. Le premier pas vers le sens, c’est ce feedback.

Invitation

Plus difficile. Aucun des joueurs de jeux vidéos n’est obligé de jouer. Idéalement aucun des membres de l’organisation ne devrait être obligé de venir s’impliquer, travailler. Pas facile. On se heurte à une autre réalité, celle de la pyramide de Maslow, il faut bien d’abord avoir un toit, manger, bref… avoir une organisation et un salaire avant de penser engagement. C’est un vaste débat. Mais difficile aujourd’hui d’inviter à travailler, en tous cas pas simple selon les contextes. Alors comment utiliser la notion d’invitation ?

Prenons quelques exemples. Jim McCarthy, celui là même des core protocols dirigeait un temps Microsoft Studio. Face à toutes ses équipes il a essayé l’invitation : voici 15 projets*[1]*, “proposez les équipes que vous voulez pour que les projets soient des succès”. Émoi chez les managers. Les gens vont faire n’importe quoi. Mais non. Nous sommes des systèmes vivants s’entête à rappeler Harrison Owen (l’inventeur de l’openspace), nous sommes naturellement responsables. C’est en déresponsabilisant les gens que vous obtenez parfois des comportements complètement ubuesques. Dans ce cadre et suivant l’objectif clairement édicté : “que les projets soient des succès” les gens ont mixé intelligemment socialisation (les dynamiques de groupes, de copains) et compétences. Mais surtout effet crucial de l’invitation – de la transparence sur la réalité des choses : personne ne va se porter volontaire sur certains projets. Si il y a deux projets “qui puent”, ils vont se retrouver sans personne. C’est une très bonne nouvelle. On découvre qu’il y a des sujets compliqués de façon flagrante, peut-être avec surprise. Non pas qu’il ne faille pas faire ces projets, mais il devient clair qu’il faut leur donner d’autres moyens.

Autre exemple, inspiré par Dan Mezick, utilisez l’invitation dans vos réunions. Imaginez le grand chef qui propose une réunion réellement sur invitation. Ce grand chef, on va l’appeler Mesmaeker (Gaston Lagaffe…), invite bien douze personnes. Première option: personne ne se présente. Et c’est une bonne nouvelle car c’était vraiment une réunion inutile. Tout le monde a gagné du temps. Deuxième option : personne ne se présente or c’était une réunion utile. L’apprentissage est clair pour Mr Mesmaeker, il doit retravailler sa communication pour faire comprendre l’importance, l’enjeu de cette réunion. Là, de façon manifeste, sa communication est ineffective. Troisième option: personne ne se présente or c’était une réunion utile, et l’importance en a été comprise. Mais peut-être la priorité n’était pas claire. Des choses importantes on en a tous à faire. Mr Mesmaeker aurait du préciser : et “c’est une priorité”, ou “c’est plus important que…”. Encore une question, problème de communication rendu visible par l’invitation. Quatrième option : quatre personnes se présentent sur douze. C’est les quatre “bonnes personnes” car il s’agit de celles qui ont compris l’importance, qui sont prêtes à s’investir, qui ont priorisé l’importance de façon à mettre ce sujet en avant (celles qui ont le temps). Cinquième option : celle que vous connaissez tous, ce n’est pas une réelle invitation, les douze personnes sont là. Elles disent oui “comme il se doit”. Mais on ne sait pas lesquelles ont le temps, ont compris l’importance, ont intégré la bonne priorité, on ne fait nécessaire d’effort sur le format de la réunion puisque tout le monde y est contraint. Et tout le monde dit oui mais on ne sait pas vraiment ce que cela veut dire.

Vous avez compris l’invitation est clef pour l’engagement (et donc la conduite du changement). Mais pour nos organisations c’est surtout aussi un formidable outil de transparence.

L’invitation est aussi un des piliers de l’approche open agile adoption ou openspace agility. L’idée est d’inviter chacun à un forum ouvert de façon cyclique, forum ouvert qui possède un objectif et un cadre (tiens tiens), d’inviter chacun à donner le comment de la mise en œuvre. On obtient ainsi quelque chose de très engageant et de très respectueux des personnes et des organisations. Je vous renvoie à openspace agility/open agile adoption : ici

Ainsi à nouveau, vous n’avez pas de problème de temps et d’argent. Vous avez une question d’implication et d’engagement. Et sous ces préceptes assez simples : objectif clair, règles claires, feedback et invitation, se cache un spectaculaire levier. Mais pour les dirigeants, les managers, les leaders, c’est un travail constant de clarifier, de supporter, de faire évoluer, d’accompagner ces objectifs clairs, ces règles claires, ce feedback et cette invitation.

Voilà pour la première partie sur l’engagement, la seconde bientôt.

Dans la série :

[1] Je ne me rappelle plus bien dans les détails de cette conversation à ALE2012 à Barcelona. Les chiffres sont à la bonne franquette mais cela ne change pas le propos.