Estimation visuelle

J’ai l’impression de revenir sur un sujet largement débattu par ailleurs, mais ne trouvant pas chaussure à mon pied sur les différents articles en ligne, je décide de rapidement revenir sur cette question de la cotation, de l’estimation, rapide et visuelle. Au détour d’une de mes interventions, lors de ce qu’appelle désormais le milieu agile un “PI Planning”, j’observe une nouvelle fois un écueil souvent répété : on prend plus de temps à pinailler sur des estimations que de se poser les vraies questions sur ce que l’on doit fabriquer, que de faire du storytelling pour mieux faire comprendre et comprendre son besoin.

Naturellement l’estimation, la cotation, est initialement un alibi utile pour une réelle conversation, mais quand le sujet devient 3 ou 2, 0, 5 ou 1, l’estimation elle-même, on a raté quelque chose et perdu du temps. Idéalement il ne faudrait plus estimer, mais bien découper les éléments sur lesquels on va travailler dans un futur proche, et simplement les prioriser. De petits éléments valorisés et priorisés suffisent. Découper c’est estimer de façon déguisée. Sans chiffre. Pour toute la validité de cette démarche, ou plutôt de l’invalidité des estimations, je vous renvoie à ces slides de consolidation ici sur les mouvements #noestimate et #beyondbudgeting.

La maturité d’une organisation sur ce sujet varie souvent. Et nos conseils, nos suggestions, ne sont valables que si ils prennent cette évolution, cette temporalité en compte. Je ne vais pas souvent conseiller à une organisation de passer directement du jour/homme à #noestimate. Je vais probablement plus souvent lui suggérer d’essayer sans jour/homme, puis sans chiffre, puis avec des phases de cotation visuelle plus rapide que les planning poker, pour enfin peut-être évoquer le #noestimate. Et j’espère être pris de vitesse par l’organisation sur ces propositions, et juste l’accompagner à la mise en œuvre. Il y a peu de conseils définitifs, il y a peu d’agile qui s’impose, il y a un contexte, une temporalité dans nos accompagnements, dans nos propositions.

Bref, pour cette organisation j’ai besoin de clarifier la pratique de l’estimation visuelle (beaucoup la connaissent sous le terme de extreme quotation, dont je crois que je change quelques détails, mais le diable…). Initialement je découvre une première ébauche dans un vieil article de Ken Power, sur un poker silencieux mural (que je viens de retrouver ici).

L’idée essentielle qu’il faut saisir est que nous sommes mauvais en estimation, et bons en comparaison. Et donc qu’il ne sert à rien de perdre trop de temps sur quelque chose pour lequel nous ne sommes pas doués. Ayez autant de conversations que nécessaire sur vos travaux grâce aux estimations tant que les estimations ne deviennent pas le sujet de vos conversations. Mauvais en estimation ? Faut-il encore le répéter ? Voyez les références de Duarte Vasco. Plus ludiquement allez voir ce TED de Clio Cresswell sur les mathématiques et le sexe . Ce TED est absolument hilarant et passionnant, on y apprend si votre couple va durer plus de six ans et plein d’autres choses mais surtout au-delà de l’estimation elle-même que notre stratégie de comptage est souvent mauvaise. Si vous énumérez vos partenaires (David, Dragos, Pablo, etc)[1] vous allez sous-estimer votre estimation. Si vous donnez une approximation (“Alors 5 par an pour les 5 dernières années”, etc.) vous surestimez. Mauvaise estimation, mauvaise agrégation (et donc probablement un mauvais engagement, une mauvaise projection). Autant se tourner vers quelque chose de plus efficace et de plus fiable : la comparaison.

Comment mener une cotation visuelle ?

L’effort ? Un ensemble de complexité (jus de cerveau), de besogne (répétition du geste, multiplicité des variations), et d’obscurité (on n’a pas tous les éléments en main). Mais l’effort reste in fine du temps (temps de réalisation), que l’on ne détaillera jamais : quand le temps entre en jeu de façon chiffrée tous nos calculs sont encore plus erratiques (car la référence devient notre calendrier, le calendrier du produit, autre chose, mais plus l’activité à réaliser).

Conclusion

Dans cet exercice chacun a pu visuellement comparer des éléments : c’est à peu près le même effort, c’est plus, beaucoup plus, moins, beaucoup moins, etc. Plus on a d’éléments plus la comparaison prend de l’épaisseur. On a complètement évacué une quelconque échelle autre que physique (du mur) et ainsi on a énormément réduit les conversations sur les estimations pour les concentrer sur les histoires, et uniquement celles qui n’avaient pas de consensus ou trop d’incertitudes. On applique une échelle après que les estimations soient achevées et cette échelle provient d’une cadence observée, pas d’une autre estimation. On a été rapide : 80 éléments en 20 minutes ? Mais on a perdu les conversations qui sont pourtant essentielles : on peut les retrouver à la fin de l’exercice sur les 20% qui les nécessitent. On peut les retrouver plus tard quand il s’agira de vraiment se projeter sur le travail à faire, juste avant de s’y engager. On peut les retrouver au fil de l’eau. Tout dépend, là encore, du contexte.

[1] Ces prénoms ne sont pas réels. Les vrais prénoms ont été cachés.