Parents, comprendre et agir avec cynefin

J’observe un nouvel élan autour de Cynefin, mais toujours pas mal d’incompréhensions ou de difficultés à se l’approprier. Pas si simple, oui, c’est d’abord une façon de comprendre les contextes qui nous entourent pour ensuite en déduire des façons d’agir. Afin d’essayer de rendre cela plus intelligible je le passerai sous le filtre d’une histoire : être parent et utiliser cynefin pour définir des façons d’agir.

D’abord à quoi ça sert ?

Mais d’abord à quoi cela sert ? Cynefin est une matrice, une grille de lecture, qui vous encourage à bien comprendre le contexte dans lequel vous vous trouvez, et en fonction de celui-ci, vous indique comment prendre des décisions et comment agir. Quel style de décisions, quel type d’actions, et pourquoi, et à quel type de résultats s’attendre. C’est donc souvent un outil pour ceux qui prennent des décisions. Comprendre les contextes et les façons d’agir relatives à ces cadres. Cynefin vient du gallois pour dire le lieu, l’endroit ; sous-entendu : comment agir dans ce lieu. On peut imaginer mille déclinaisons de cette “grille de lecture” mais il n’y a pas de “comment” servi clef en main.

Parents, comprendre et agir selon le lieu où vous vous trouvez

« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »

Le lieu n’étant pas ici une localisation à proprement parler, mais le contexte et l’écosystème dans lequel vous vous trouvez quand l’action ou la décision doivent être prises. Pour démarrer cette réflexion, listons une série d’actions et d’interrogations légitimes de parents :

Comment ?

Dans Cynefin il y a quatre lieux : “évident”, “compliqué”, “complexe”, “chaotique” (cinq si on ajoute “désordre” que je n’évoquerais pas dans cet article). Le meilleur moyen de savoir où l’on se trouve dans les différents lieux de la matrice Cynefin c’est de s’interroger : est-ce qu’il y a une réponse à la question ? Et si oui est-ce qu’on la connait ? Je m’explique : est-ce qu’il y a une réponse à la question : comment donner le biberon ? Et si oui est-ce qu’on connait cette réponse ? Est-ce qu’il y a une réponse à la question : comment traiter une tyrannie à l’école ? Et si oui est-ce que l’on connait cette réponse ? Si on sait dans quel “lieu” on évolue, Cynefin propose une aide à la décision, à la façon d’agir.

Évident

Comment changer les couches et Comment donner le biberon sont par exemple probablement dans le lieu de l’évident. Dans ce lieu il y a une façon de faire, de répondre, il n’y a pas d’inconnu, oui la réponse est évidente, connue. La bonne réponse coule de source. On détecte souvent une relation de cause à effet. Mon bébé pleure et il est l’heure du repas. Il a faim. Je lui donne un biberon. Je sais donner un biberon. Pour vous apprendre à donner un biberon pas la peine de se lancer dans de grandes explications théoriques (au contraire cela serait contre-productif). Et il y a une façon de faire classique de donner le biberon, qui est manifestement la plus efficace.

Donc parents dans ce contexte simple : il y a normalement une façon de faire répandue et la plus efficace, la meilleure pratique. Pour l’expliquer à d’autres ou se la faire expliquer autant aller droit au but. Observer les faits et apporter cette réponse, cette action.

À quoi faire attention dans ce lieu ? De ne pas tomber dans des automatismes (il est tard, il n’a pas manger, il pleure, paf un biberon systématiquement, alors qu’il cherche peut-être quelque chose d’autre), rester ouvert à des alternatives. Et ne pas complexifier, ou compliquer ce qui est simple : est-ce utile de faire trois biberons à températures variantes pour les mixer ensuite afin de …

Éviter de se faire surprendre dans ce lieu ? Rester attentif à ce qui fait par ailleurs. Le principal danger du lieu de l’évident, c’est la mémoire du muscle, le réflexe, les automatismes. Soudain par automatisme on répond mal à une question que l’on a cru classique. Un aspect Kafkaïen : on répète un geste sans plus en connaître les raisons.

Dans ce lieu j’observe, je catégorise et donc je réponds.

Compliqué

Comment trouver une bonne nounou ou Comment lui apprendre à s’habiller tout seul font probablement partie du lieu du compliqué (dans mon univers). Est-ce que l’on va trouver une nounou ? Est-ce que l’on va lui apprendre à s’habiller tout seul ? Oui certainement. Il y a donc une réponse. Oui. Est-ce qu’on la connait ? Non, pas encore, elle n’est pas simple. Cela pourrait arriver de plusieurs façons. Pour trouver une nounou, je me renseigne sur internet, je demande aux amis, j’écoute les conseils et les avis des proches sur comment faire, quelle durée cela doit prendre, quelles sont les caractéristiques recommandées, etc.

Dans le lieu du compliqué, il est question d’expertises. Il n’y a plus de meilleure réponse, il y a des bonnes réponses. Et probablement des avis, des experts sur lesquels s’appuyer pour arriver à la réponse.

Donc parent dans ce contexte compliqué : pensez à bien avoir ces différents avis d’experts (je parle des autres parents ou des proches ayant une forte expérience dans le domaine, en tous cas d’après ce qu’ils annoncent) avant d’arriver à une conclusion. N’hésitez pas à écouter les avis contraires. Mais attention : à ne pas se faire embarquer par un parent qui répète son expérience à lui sans comprendre que votre contexte est différent. Laissez vous surprendre par des avis inattendus (de non parents ?). Et ne vous laissez pas paralyser par une somme d’avis contraires dont rien n’émergerai (une nounou, non une crèche, oui mais alors, etc.).

Ainsi donc si vous pensez que trouver une nounou est une action simple, évidente. Vous pensez que vous êtes dans le lieu de l’évident. Vous ne tergiverser pas, vous ne communiquez pas trop, ni n’allez brasser beaucoup d’informations ou d’avis, et vous appliquez votre réponse. Vous faîtes simplement attention de ne pas reproduire bêtement ce qui a marché auparavant mais qui ne marche peut-être plus du tout aujourd’hui. Mais si vous pensez que cela se situe dans le lieu du compliqué alors vous vous assurez d’avoir assez d’avis d’“experts” pour faire émerger la bonne réponse. Tout en prenant garde que ces avis si ils sont contraires ne vous paralysent pas, que ces experts ne reproduisent pas trop bêtement leur expérience sans prendre en compte votre contexte, et vous pouvez intégrer des regards nouveaux (inattendus, non experts) pour bousculer tout cela.

Dans ce lieu j’observe, j’analyse, et je réponds.

Complexe

Comment le rendre heureux, ou Comment traiter une tyrannie à l’école à mes yeux font partie du lieu du complexe. Est-ce que l’on va le rendre heureux ? Est-ce que l’on va traiter cette tyrannie à l’école ? Probablement. Il y a probablement une réponse. Mais un gouffre se cache dans cette incertitude contrairement au certainement du lieu du compliqué. On donne souvent en exemple pour le compliqué : fabriquer une voiture c’est compliqué, il faut des experts, mais avec les bons experts on va certainement réussir. En contrechamp dans le lieu du complexe on invoque la mayonnaise, ce n’est pas plus difficile que de faire une voiture, on va probablement la réussir, elle va probablement monter. Il demeure une incertitude.

Donc parents dans ce lieu du complexe on va agir selon des motifs, des principes, et non plus des faits concrets. La réponse n’étant pas acquise, pas de cause à effet directs, il y a des évènements assez imprévisibles, inattendus. On va donc encadrer des essais, nos avancés, en préservant nos enfants par des principes des valeurs, un état d’esprit. Il peut y avoir beaucoup d’innovation et de surprise dans les réponses possibles qui vont émerger. Il faudra organiser ces terreaux fertiles d’idées nouvelles, les rendre possibles, expérimenter. Et comme on tâtonne il faudra un haut degré d’interactions et d’observations.

Mais attention de ne pas choisir trop vite, de ne pas retomber trop vite par impatiente soit dans la première solution qui semble se présenter, ou de retomber dans l’application d’une solution toute faite (comme si vous étiez dans le lieu du simple). “Ah les croissants semblent le rendre heureux on va lui acheter des croissant tous les jours”, non ce qui a pu le rendre heureux c’est un mélange de présence, de surprise, etc. Il faut laisser le temps à une bonne réponse d’émerger.

Vous auriez aussi pu classer “Comment trouver une nounou” dans ce lieu. Si c’était votre analyse plus que du panel d’experts (amis, parents, etc) qui vous aurait conseillé par leur analyse et dont la réponse aurait découlé, vous auriez plutôt du essayer, observer, interagir, changer peut-être de nounou, ou de façon d’interagir avec elle, vous laisser du temps, pour enfin aboutir, probablement, à une réponse convenable. Au contraire des meilleures pratiques du lieu de l’évident, des bonnes pratiques du lieu du compliqué, ici c’est le lieu du complexe, des pratiques émergentes.

Dans ce lieu j’essaye, j’observe et je réponds.

Chaotique

Ici en fait on ne répond pas à des questions, on subit une situation. Pas de réponse, de l’action. Il faut agir. “Le bébé a la diarrhée et nous n’avons pas de couche” ou plus dramatiquement “on découvre que la nounou inflige de la maltraitance”. Grosses turbulences. Pas forcément de réponse. Mais il faut agir à tout prix, immédiatement, pour rétablir l’ordre. Parents, vous vouliez décider de tout, comme un tyran (option éclairé) ? C’est le moment ! Mais attention d’une part de ne pas garder cette attitude quand vous êtes sorti de la zone de turbulences, et de ne pas passer à côté d’opportunités que ce chaos aurait pu mettre en évidence.

Mais il faut d’abord agir pour se permettre de se retrouver dans un autre lieu. D’abord je rompt immédiatement les liens avec cette nounou. Ensuite je me replonge dans la question : “comment trouver une nounou” soit en agissant comme dans le lieu du complexe ou du compliqué selon mon analyse qui peut-être fausse c’est tout l’enjeu de réaliser dans quel lieu je me trouve pour avoir la bonne posture.

Dans ce lieu j’agis, j’observe et je réponds.

Dynamique entre les lieux

Aller plus loin c’est s’intéresser aux dynamiques qui font que l’on
bascule de l’évident dans le chaotique pour se retrouver dans le
complexe. Je sais comment nourrir mon bébé, mais soudainement il devient
allergique à un aliment. Je bascule de l’évident au chaotique : soudain
je dois prendre une action. Puis j’espère passer dans le lieu du
complexe : essayer de faire émerger une nouvelle façon de le nourrir. Si
de nouvelles pratiques émergent, il se peut que je repasse dans le lieu
du compliqué et/ou de l’évident. Autre façon de jouer sur ces dynamiques
je pourrais avoir des façons de le faire manger sainement, mais je pourrais vouloir trouver d’autres façons de faire en basculant d’un lieu compliqué (j’ai trouvé comment le faire manger sainement en m’appuyant sur des experts), vers un lieu complexe (j’essaye et j’observe). Etc.
Il s’agit d’une introduction je vous encourage à vous documenter, il
existe plein de choses sur Cynefin. Une partie de mes références sont là
Cynefin, notamment un tableau récapitulatif de la description des lieux et de comment réagir à leurs sujets traduit d’un article qui a disparu depuis, ou que je ne retrouve plus.

L’enjeu

Dans notre domaine (coaching agile, conduite du changement, etc) actuellement l’enjeu est de faire réaliser que bien souvent on pense être dans un lieu ou règne la prédictibilité (compliqué ou évident) et donc la répétabilité, alors qu’en fait on se trouve dans un lieu complexe, imprévisible. Et ainsi pousser les gens aux manettes à accepter plus souvent des environnements qui permettent aux pratiques d’émerger.