Les limites dans Kanban
À la suite de mes deux articles sur les graphes Kanban expliqués aux enfants, on me demande si je voudrais préciser un peu des choses sur l’utilisation des limites dans Kanban. Impossible de faire un article sur les limites expliquées aux enfants, ceux qui en ont savent. Je vais donc simplement essayer d’expliquer ce que je sais et ce que je comprends des limites dans Kanban. Le spécialiste étant bien évidemment
Laurent, son blog et son livre à ce sujet.
À quoi cela sert de mettre une limite ? Et comment savoir quelle limiter poser ?
Pour expliciter cet article je vais prendre comme exemple un Kanban tel que présenté lors du petit déjeuner Wake Up RH que je simplifie (pas de responsable de colonne, pas de critères de sortie). Kanban RH donc, autour d’une équipe RH. Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.
Pour expliciter cet article je vais aussi utiliser quand je le pourrais une analogie assez classique entre un flux Kanban et un cours d’eau. Le but est de vous fournir une métaphore.
Bref, quand on démarre un Kanban c’est d’abord souvent du management visuel qui dévoile le flux de votre activité, de votre création de valeur. Puis on ajoute une limite pour contraindre le flux. C’est une action décisive qui a un but : limiter le stock, accélérer la livraison, ne pas surcharger une étape, etc. Une limite n’est jamais gratuite ni aléatoire. Quelle limite poser ? La limite est le moyen. Quel but poursuivez vous ? Quelques exemples ci-dessous.
#1 Commencer à finir, arrêter de commencer ?
Vous êtes dans le cas assez typique où l’une de vos étapes s’engorgent: on adore commencer des choses, mais on aime rarement les finir. On perd le focus, on se disperse. Dans ce cas on peut placer une limite. Le but de celle-ci est de limiter le travail en cours sur l’étape incriminée pour s’obliger à finir des choses avant d’en démarrer d’autres.
Métaphore du cours d’eau ?
Votre activité, votre création de valeur est comme un long cours qui s’étale grassement à travers la plaine, jusqu’à ne plus couler, qui stagne. Si vous limitez la taille du cours d’eau, si vous creusez un fossé assez serré dans lequel l’eau doit passer, le débit s’accélère, l’eau avance. Il y en a moins en surface, mais elle va beaucoup plus vite, et au total le volume d’eau qui a traversé est le même voir plus beaucoup plus gros. Enfin comme toujours la première goutte d’eau à arriver à l’autre bout de la plaine arrive bien plus vite si le fossée est étroit. Mais l’eau peut-être violente car elle est contrainte, attention aux secousses liées à la limite.
Kanban RH ?
Dans l’exemple des images jointes, on a plein d’idées et de demandes concernant la marque employeur. On cogite, on étudie, mais on démarre trop peu. Il faudrait finir d’avoir des choses à préparer, et commencer à en réaliser certaines. On imagine que placer une limite sur la préparation : désengorger, obliger à démarrer des choses ou à ne pas en préparer d’autres avant de traiter l’un des quatre éléments déclarés dans la colonne “étude/préparation”. Dans ce scénario une autre option aurait été de mieux faire l’action de sélection : en injectant à bon escient dans le flux. Ou peut-être d’anticiper le goulot de la préparation en plaçant une limite sur la sélection. À vous d’essayer.
#2 Appliquer une stratégie sur votre capacité à faire ?
Vous êtes dans le cas où votre capacité n’est pas répartie selon votre stratégie, vos besoins. Par exemple vous avez trois domaines d’activités et tout le monde s’investit dans le domaine #1. Or il faudrait un investissement identique dans les trois domaines. Vous limitez l’activité des différents domaines pour vous assurer qu’elle soit mieux répartie entre les différents domaines. (Vous pourriez cumuler les deux premiers scénarios : tout le monde s’investit uniquement sur le domaine #1, démarre plein de choses, ne finit rien). La limite va mieux répartir et pousser à finir.
Métaphore du cours d’eau ?
Le cours d’eau qui s’écoule dans la plaine était fait pour irriguer initialement trois de vos champs. Mais l’eau est oisive, elle a choisie le chemin le plus facile et elle ne s’écoule que vers un seul des trois champs. Si vous contraignez ce chemin facile en limitant le débit possible, l’eau n’a d’autres choix que d’emprunter les passages vers les autres champs.
Kanban RH ?
Dans l’exemple des images jointes, toute l’équipe se rue sur le juridique (mais pourquoi diantre ?) et sur le recrutement, laissant la marque employeur et la formation en friche. On pourrait essayer d’équilibrer, si cela a du sens pour nous, en répartissant des limites qui contraignent les activités sur les autres domaines (non mesdames et messieurs, si vos équipes sont dans un environnement sain elles n’arrêtent pas de travailler, ou ne travaille pas moins, si le travail fait sens on aime s’y plonger). Il ne s’agit que d’exemples : ne respectez pas ces chiffres ou ce Kanban, faîtes la démarche complète chez vous.
#3 Rétablir un déséquilibre des forces en présence ?
Là aussi c’est une question de déséquilibre dans la répartition des forces en présence, mais non pas une répartition selon les domaines, mais selon les étapes. Vous avez disons dix personnes qui pensent, cogitent, écrivent les activités à réaliser, et deux personnes qui les réalisent. Les idées, les cogitations, les écrits fusent, mais s’accumulent et s’entassent, car les deux personnes qui réalisent ne font pas le poids face aux dix qui les nourrissent. C’est dommage car rapidement les idées, les cogitations, périclitent, périment. C’est un investissement perdu. On place ici une limite en amont de l’étape de réalisation, sur l’étape de cogitation, pour éviter un amoncellement inutile, une péremption de celles-ci, pour là encore ne pas travailler pour rien, ou pour peu, et orienter cette énergie à un endroit plus pertinent.
Métaphore du cours d’eau ?
Inutile d’arroser trop vos champs avec le cours d’eau : ils ne savent pas ingurgiter plus d’eau que leur capacité et cette eau est gaspillée. Autant limiter celle-ci (comme un barrage) pour l’utiliser ailleurs.
Kanban RH ?
Caroline, Marie-Claire, Bénédicte, Simon, André, et Martha sont des consultants embauchés pour remettre à flot la marque employeur. Ils accompagnement Johanna et Natasha sur cette mission. Vincent et Patrick réalisent toutes ces demandes, quand ils peuvent, car Patrick s’occupent aussi du support clients. De fait les demandes, idées, s’accumulent dans la case “étude/préparation”, et aussi dans la case “réalisation”. On a poussé Vincent et Patrick a démarré des choses, mais pour eux impossible de les finir, pas assez de bras. (C’est encore plus visible si on utilise les flux tirés comme dans cet article). Notre option : placer un flux tiré (sous-colonnes en cours et fini) pour rendre visible cette surcharge entre deux forces en présence déséquilibrées, et une limite sur la partie en amont “étude/préparation” pour ne pas trop en faire, une limite sur la partie “réalisation” pour s’assurer que l’équipe reste focus. Ainsi plusieurs effets : plus la peine d’autant de consultants… ou les consultants se mettent à faire, à réaliser aussi, ou ils se partagent sur une autre activité. Vous auriez peut-être pu ne pas mettre de limite en faisant grossir votre équipe de réalisation. Tout cela reste des hypothèses.
#4 N’oubliez pas les limites basses
Pour garantir la cadence du flux on peut le contraindre, mais il ne faut pas oublier de l’alimenter aussi. Vous pouvez avoir des limites basses. Mais vous avez peut-être besoin d’irriguer vos champs a minima tous les jours. Si plus personne n’a d’idée, ne cogite, soudainement les deux personnes qui réalisaient (dans notre exemple précédent) se trouvent à cours de matière. Vous devez peut-être vous assurer d’avancer sur le juridique, ou dans un portfolio kanban de projets vouloir a minima un ou deux projets d’innovation pure, etc. Il faut parfois penser à assurer un débit minimum.
Ici pour s’assurer que un minimum de candidats soient vus en entretien, on place une limite basse sur le “sourcing” qui doit se faire sur quatre éléments minimum.
#5 S’assurer que tout le flux est limité ?
Si vous avez essayé de placer une ligne “urgence” (qu’on appelle souvent “expedites” en kanban) pour mettre en évidence les urgences à traiter, il se peut que ceci vous soit arrivé… (voir image à gauche). C’est humain peut-être. Tout est devenu urgence, vidant de son sens cette appellation. Du coup pour régler cela vous voudriez placer des limites sur toutes les colonnes, ou même encore plus limiter le nombre d’éléments en en autorisant moins d’un par colonne.
Dans ce cas c’est très contraignant mais vous pouvez placer une limite en début de ligne.
Ces cinq exemples sont des exemples comme leur nom l’indique. Ils sont fréquents, mais ils sont loin de limiter les cas de figures.
Quand est-ce que je propose à une équipe de mettre des limites ?
La première des choses est de rendre visuel l’activité, la création de valeur. Au début il n’y a donc sûrement pas de limite. Sauf si vous avez déjà des limites dans votre flux, mais alors vous faîtes déjà du Kanban, ce n’est pas le début. Pourtant certains d’entres vous diront que sans limite ce n’est pas encore un kanban mais “simplement” du management visuel. Ils ont peut-être raison, et le management visuel c’est très bien. Je vous suggère de d’abord coller à la réalité, de laisser passer quelques temps pour observer la représentation de votre flux et en tirer des enseignements, puis ensuite (quelques semaines ou mois plus tard ?) commencer à placer des limites. Ces limites doivent avoir un sens, un but, une raison d’être. Je suggère presque de l’écrire quelque part : “Le but de cette limite est de …”.
Ma limite est-elle la bonne (en capacité octroyée ?)
Je suis incapable de vous dire d’appliquer telle ou telle formule pour définir la “bonne” limite. À mes yeux c’est le fruit de l’observation de votre flux qui vous fait déduire la bonne limite à appliquer. Elle devrait être rationnelle : en fonction du nombre de personnes qui travaillent dans la “colonne”, sur l’activité. En fonction des compétences et de la pluridisciplinarité de ces personnes. Mais aussi du type d’éléments dans votre flux de création de valeur. Enfin et surtout du sens que poursuit cette limite. C’est donc une information à définir en fonction du contexte qui va émerger assez naturellement et qui peut se modifier, se calibrer.