Epiphanie organisationnelle

L’épiphanie (du grec ancien ἐπιφάνεια, epiphaneia, « manifestation, apparition soudaine ») est la compréhension soudaine de l’essence ou de la signification de quelque chose. Le terme peut être utilisé dans un sens philosophique ou littéral pour signifier qu’une personne a « trouvé la dernière pièce du puzzle et voit maintenant la chose dans son intégralité », ou a une nouvelle information ou expérience, souvent insignifiante en elle-même, qui illumine de façon fondamentale l’ensemble. Les épiphanies en tant que compréhensions soudaines ont rendu possible des percées dans le monde de la technologie et des sciences. Une épiphanie célèbre est celle d’Archimède, qui lui inspira son fameux Eurêka ! (J’ai trouvé !), raconte wikipedia.

Au vingt troisième siècle avant Jimmy Page c’est effectivement une épiphanie que vit Archimède en sautant de son bain, en criant “Eurêka”, en réalisant la fameuse poussée d’Archimède. Au début du XVIIe siècle, avec le procès de Galilée, c’est peut-être une épiphanie collective qui frappe une partie de la population européenne. Il se peut que la terre tourne autour du soleil, puisque l’on en parle, que les gens ne sont pas d’accord, qu’un procès autour de l’héliocentrisme copernicien a lieu. Des esprits vivent probablement des “AHA moment”, des moments “eurêka”. En 1963, Dick Fosbury s’élance et saute d’une façon complètement nouvelle. Pour les autres compétiteurs c’est une épiphanie. Ils ne pourront plus sauter comme ils le faisaient. Leur compréhension de leur sport est révolutionnée.

C’est ce genre de révélation qu’il nous faudrait au niveau organisationnel. J’avais une conversation avec Bruno sur la régression intellectuelle que nous vivons ces dernières années, et plus précisément sur celle de la posture managériale. Nous envisageons de faire de nos conversations une session, et Bruno évoque sa lecture de Kant et du procès de Galilée comme une soudaine réalisation de la raison envers la foi. Ce moment de la conversation me fait vivre lui-même un petit “aha moment”. C’est cela que je poursuis : faire réaliser, révéler, de façon introspective, l’écart qui défini le paradigme entre l’ancien mode managérial et le nouveau, entre l’ancienne culture organisationnelle et celle que nous appelons de nos vœux et qui se matérialise de nos jours au travers de l’entreprise libérée, de l’holacratie, de la sociocratie, les niveaux jaunes et/ou vert de la spirale dynamique, et de tous ces nouveaux modèles. Mais est-ce seulement possible ?

Je réalise que nous subissons la révélation copernicienne, ou la nouvelle technique de Fosbury, mais que le moment Eurêka de Archimède, ou de Newton recevant la pomme sur la tête sont des découvertes personnelles. Pour la première c’est une rupture flagrante, comme l’innovation, à laquelle nous sommes soumise, pour la seconde c’est un cheminement interne, une révélation.

Rupture

Mais est-ce possible d’avoir une rupture perceptible flagrante autour d’une organisation systémique, à partir de quelque chose qui nécessite de voir le tout, de penser de façon holistique ? Est-ce que comme le réchauffement climatique ou les problèmes écologiques, ou d’autres phénomènes qui ne sont compréhensibles qu’à travers des nombres dont on ne comprend pas le sens à notre échelle, ou dont on ne perçoit les effets que trop tard, est-ce possible d’avoir une épiphanie organisationnelle ? Nous ne percevons pas aisément le mal que nous faisons quand nous consommons trop, ce n’est pas facilement palpable à notre niveau, ce n’est pas envisageable par notre cerveau d’homo sapiens, car c’est systémique, holistique, il faut voir le tout. Comme les irradiations de Tchernobyl c’est un mal invisible dont on ne percevra que les symptômes que trop tard.

On voit des organisations qui marchent très différemment les unes des autres et elles nous inspirent. Peut on pour autant s’en servir comme révélateur ? Tant qu’elles seront minoritaires c’est assez difficile. Tous les contextes, tous les paramètres qui s’entrelacent. On ne peut pas reproduire du complexe aisément.Les gens qui attendent de notre accompagnement de la répétabilité se fourvoient. Pas de rupture avec un phénomène intangible et complexe. Il faut attendre que statistiquement la majorité fonctionne ainsi, il n’y aura ainsi pas de révélation mais un glissement.

Si révélations il y a elles seront probablement personnelles et viendront de l’intérieur, pas comme les sauteurs en hauteur qui subissent la démonstration de Fosbury. L’ancien système peut résister grâce à la difficulté de lecture que nous avons avec cette approche holistique/systémique du monde complexe. (D’autant qu’il se maquille au travers de monstres que l’on appelle SAFe – un faux système moderne actuellement en vogue –, certifications ou autre et falsifie la réalité).

Révélation

Je me suis un peu interrogé au travers de quelques lectures de ci de là sur les moments eurêka. Les grecques pensaient que c’était les muses qui pourvoyaient les humains de ces moments soudain et révélateur. Cela peut marcher, j’en sais quelque chose. Mais les dernières études montrent surtout que ces moments eurêka, ces épiphanies proviennent d’un long travail d’intégration d’information, d’une capacité de divergence et de penser hors de sa zone de confort et que soudain une nouvelle information vient donner la clef. Ce n’est pas la partie analytique du cerveau qui fonctionnerait, mais bien la partie droite, émotionnelle, créative. Enfin les deux mais pas au même moment. Une large part est faîte à la récolte des données, à l’analyse. Mais la révélation ne vient pas de ces moments. Elle arrivera subitement par la découverte d’une nouvelle pièce qui conclura le puzzle. La partie droite du cerveau est moins précise mais ses ramifications sont plus étendues. Naturellement, comme toujours, vouloir forcer le moment eurêka, c’est le repousser.

Quelques lectures :

La forêt

Cette partie du cerveau qui nourrit les épiphanies c’est aussi celle du langage quand il traite des métaphores ou des jeux de mots, il doit travailler avec une compréhension étendue. “Le langage est tellement complexe que le cerveau doit le gérer de deux façons différentes en même temps,” dit le chercheur Jung-Beeman. “Il a besoin de voir la forêt et les arbres simultanément. L’hémisphère droit vous aide à voir la forêt.” (The eureka hunt).

Collusion des “adjacents possibles”, sérendipité, “interpréteur métaphysique”, c’est en étendant les ramifications de son cerveau droit que l’on voit apparaitre les nouveaux paysages qui nous aideront à percevoir différemment nos organisations, et à comprendre ces nouvelles étapes à franchir. C’est aussi pour cela que je me sens inextricablement attiré par ce type de visions : dans les organisations vivantes j’évoque bidonvilles, formes (le pli, le papillon, etc.) de la théorie des catastrophes de Thom, cristaux, termitières, etc. Les réponses viennent de la confrontation à d’autres champs de recherche m’avait glissé Mary Poppendieck quand je lui parlais de ces bidonvilles et de ce texte. En introduisant des termes comme village, tribu, cercle, vous ouvrez des métaphores, des analogies, dont les ramifications pourront aller plus loin que vos termes classiques, historiques, comme “équipes” ou “départements”. Une nouvelle raison de conspuer les systèmes comme SAFe ou consort : tout cela retarde ou obstrue une épiphanie organisationnelle générale dont nous avons grandement besoin.

Pour résumer

Pour résumer je réalise qu’il sera très difficile d’avoir une épiphanie collective sur des aspects systémique lié à l’évolution de la compréhension de nos organisations. Mais que travailler pour avoir des épiphanies personnelles est vital. Les ingrédients de celles-ci seront des phases de collecte des informations et d’analyses classiques. Une invitation sera toujours nécessaire (on ne force pas une épiphanie), une découverte par l’expérience personnelle (qui renforce notre capacité de mémorisation). Une propension à s’ouvrir : collusion des “adjacents possibles”, sérendipité, etc. Une révélation qui mettra à jour une nouvelle perspective en associant un dernier élément qui résoudra le puzzle. Et un vrai shoot de dopamine et donc une addiction à cette nouvelle ouverture d’esprit.