Histoires d'Open Agile Adoption (désormais Openspace Agility)
Quelques mots sur la présentation que j’ai pu donner les derniers mois, et notamment au scrumday 2014 ,avec Oana Juncu, ma partenaire dans convergenc.es, avec qui nous avions eu le plaisir de recevoir Dan Mezick (ci-dessus sur la photo en train de présenter Open Agile Adoption à Montpellier en septembre 2013). Cela faisait un bail que je souhaitais écrire cet article et je ne savais pas comment m’y prendre : faire un compte rendu de mes OAA ? j’ai essayé, c’est long et compliqué ; je vais plutôt tenter ici de vous raconter un Open Agile Adoption, et y plaçant des feedbacks de-ci de-là de mes propres expériences.
Open Agile Adoption s’appelle aujourd’hui Openspace Agility
Voici donc un Open Agile Adoption basé sur mes histoires. L’Open Agile Adoption étant finalement assez récent, les premières présentations officielles ont été faites à l’automne 2013…en France (cocorico) par Dan Mezick.
Les slides de la présentation
Invitation
Un Open Agile Adoption cela commence par une invitation. L’idée c’est d’inviter les gens à être les acteurs de leur propre conduite du changement. On va donc les inviter. Et plusieurs fois : à venir, à proposer des idées, à participer aux groupes de discussions, à mettre en œuvre leurs propositions. Mais comme c’est une invitation ils ne sont pas obligés de l’accepter : ils peuvent décider de ne pas venir, ne pas avoir d’idée, de ne pas participer aux groupes de discussion (pour cela on va faire une piste “bouffe & boissons”), de ne pas mettre en œuvre leurs propositions. Pourquoi ? Car toute action coercitive est contre-productive. Il est illusoire de vouloir changer les gens ou les organisations sans leur consentement, sans leur envie. Le seul changement durable se fera avec l’engagement de chacun, et cela démarre par une invitation.
Petit feedback : lors du premier OAA certains vont venir me voir et me dire : “tu es gentil avec ton invitation, mais si on ne vient pas cela va se voir”. Ils ont raison. Il faut d’abord gagner la confiance de tous. Ils veulent voir pour croire. Je leur conseille alors de venir et de faire semblant, c’est triste mais c’est ainsi. En tous cas ils sont libres.
Thème de la journée
L’invitation propose le thème de la journée d’Open Agile Adoption. Le sujet sur lequel les gens vont se pencher et proposer des pistes d’amélioration. Ce thème peut être très large et englober un peu tous les sujets : “comment repartir sur de bonnes bases ?”, comme être plus précis : “comment améliorer le service proposé par les groupes customer care & support pour l’entité EMEA ?” ; le thème de la journée peut évoquer le produit : “quoi proposer pour notre nouvelle gamme xxx”, ou justement la culture et les pratiques : “Suite à la présentation de l’agile par Pablo, comment mettre en œuvre cette culture et ces pratiques chez nous ?”, etc.
Donc oui, selon le thème abordé il est nécessaire de préparer les gens (c-a-d envoyer l’invitation assez tôt !) : on peut rapidement avoir des propositions sur l’amélioration de notre quotidien (car on est plongé dedans), c’est plus dur pour d’autres sujets.
Lancement de la journée
L’outil central de Open Agile Adoption c’est la technologie du forum ouvert (Open Space) par Harrison Owen. Mais si cet outil est central il n’en constitue pas la définition. C’est bien l’ensemble des points proposés judicieusement par Dan Mezick qui vont rendre le changement possible, Dan a proposé un ensemble qui donne du sens. Chronologiquement donc vous avez envoyé une invitation semaine S-1 (lors d’une présentation de l’agilité), et vous avez choisi le thème : “Suite à la présentation de l’agile par Pablo, comment mettre en œuvre cette culture et ces pratiques chez nous ?”. La journée se lance à 9h00 avec les cafés. Quand vous sentez tout le monde (enfin ceux qui ont décidé de venir) prêt, on annonce les règles de l’Open Space (la loi des 2 pieds, les abeilles, les papillons, etc.) et les contraintes.
Les contraintes
Open Agile Adoption ce n’est pas Open Bar. J’espère que vous aurez le moins de contraintes possibles, mais généralement elles existent. Par exemple, celle du budget : “Mesdames, messieurs, je vous propose de mettre en œuvre vos idées, vos suggestions, vos propositions. Mais nous serons soumis à la contrainte d’avoir un budget équivalent. Que pouvons nous changer, améliorer, à budget équivalent ?” (Des équipes ont par exemple proposé de changer tous les postes fixes par des portables, pour un avantage évident dans leur contexte, la contrainte budgétaire a été respectée car cela induisait moins de licences versus l’achat des machines). Généralement il y a aussi (je propose) comme contrainte : une adhérence faible avec les gens et les services qui ne sont pas présents à l’OAA. Sinon on va s’entendre dire : “si eux ils faisaient…”. “OK, peu importe leurs défauts ou leurs qualités, ils ne sont pas dans la réflexion, donc entre nous que pourrions nous changer ?”. Une dernière contrainte très classique : toutes les actions proposées suite aux discussions sont mesurables et atteignables.
Cette façon de poser un conteneur (les contraintes) et de laisser les gens faire (l’auto-organisation) est typique de la culture agile, de l’émergence, etc. Les grands chefs qui souhaitent mettre en œuvre un OAA ne risque rien (j’en parlerai plus bas).
Le ou les grands chefs ouvrent
Donc 9h ouverture, café, 9h30 : présentation des règles de l’Open Space et des contraintes. Puis on annonce le thème : cette présentation est réalisée par le ou les grands chefs. Ben oui, si ce n’est pas le grand chef qui ouvre et qui clôture en annonçant clairement qu’il apportera son soutient à la mise en œuvre des propositions votre journée n’est pas prise au sérieux. Et même là aussi, on va voir si il tient parole. Je conseille donc aux grands chefs de ne pas faire d’OAA si ils ne comptent pas tenir leur engagement. L’effet serait redoutable et bien plus conséquent que de ne pas faire la journée. La confiance serait atteinte pour un moment.
La place de marché
Vient le moment de la place de marché de l’openspace. C’est généralement une matrice (collée au mur : feuille de papier, quadrillage scotch, etc.) entre les lieux, les sujets et les plages horaires. Si vous avez 50 personnes découpez en ~50/8 (un groupe qui brainstorm au delà de 8 cela pédale dans la semoule). Allez disons 6 espaces de paroles (pas trop éloignés les uns des autres pour faciliter la loi des deux pieds), et ajoutant un de plus pour la bouffe et les boissons (personne n’est obligé de participer), donc 7. A cela vous ajoutez 4 plages horaires : 10h30-11h30, 11h30-12h30, 14h30-15h30, 15h30-16h30 : on obtient 7*4 = 28 espaces de paroles.
Généralement je lance deux places de marché, ou plutôt je la renouvèle : la première dans la matinée, la seconde en début d’après-midi. Les sujets que personne n’a retenu sont retirés de la place de marché (il n’est pas utile de la remplir entièrement). Si un sujet attire beaucoup de monde : dédoublez les groupes, rejouez la session, approfondissez le sujet, tout est permis.
Pour que la place de marché se remplisse : la personne qui propose un sujet s’avance sur l’estrade, annonce son sujet, place le sujet dans la cellule de la matrice qu’elle a choisi (heure+lieu).
Attention pour proposer plusieurs sujets on doit refaire la queue. Si les sujets ne retiennent pas l’attention lors que les gens indiquent où ils vont, n’hésitez pas à rapidement dégager de la place sur la place de marché. Une personne désirant saturer l’espace peut vite est être renvoyée dans ses cages. Ensuite vous verrez une place de marché d’openspace fonctionne assez rapidement toute seule.
L’exposition de ses idées
Mais oui l’exposition de ses propositions, de ses idées, n’est pas indolore. C’est une grande force de l’OAA que de réussir à clarifier et à clore bien des débats. En effet à celui qui se plaignait de ne jamais être écouté, voilà pour lui l’occasion de s’exprimer et de mettre en œuvre ses propositions. Mais attention, cette soumission passe par le soutien de ses camarades qui vont exprimer leurs désirs de dialoguer avec lui sur des actions concrètes. Puis par le faite que la mise en œuvre est également du fait du groupe (il faut d’ailleurs dans la préparation de l’OAA définir quels sont les moyens attribués à la mise en œuvre : 5% du temps ? 1 jour par semaine ? par mois ?). Ce n’est plus le grand méchant manager qui bloque, mais ses pairs, ou soi-même : vous connaissez les gens qui se plaignent constamment mais quand ils ont les moyens y pensent à deux fois avant d’appliquer leurs “idées”. Oui vous allez pouvoir entendre : “je ne comprends pas pourquoi tu demandes toujours cela : pourquoi ne l’as tu pas proposé et mis en œuvre dans le cadre de l’OAA ?”. Et donc une question de fond intervient : si on vous donne les moyens, sous réserve de respecter les contraintes de la compagnie, de mettre en œuvre ce que vous pensez être bien (et comme toujours vous avez le droit de vous tromper, d’échouer, de changer d’avis), et que vous ne proposez jamais rien, durant plusieurs OAA, et que vous vous plaignez tout le temps. Il faut soit changer les contraintes, soit changer de société.
Cependant parfois, et plus qu’on ne le pense, cette idée qui n’avait pu émerger est la bonne. Contre toute attente elle marche et elle change la vie.
Et même quand une idée n’est pas parfaite, comme elle a été proposé par ceux qui vont la mettre en œuvre elle sera bien plus efficace.
Vous n’avez rien à perdre avec un OAA.
Extravertis et intravertis
Vient aussi une question récurrente sur les extravertis et les intravertis, mais pas que : il y a aussi les anciens et les nouveaux, etc. Généralement je ne traite pas cette question car j’observe qu’elle se résout d’elle-même par les règles de l’openspace. Je ne nie pas qu’il y ait des habitudes et des jeux de pouvoirs sous-entendus mais l’openspace laisse assez d’espace justement pour que cela se régule tout seul.
Les brainstormings
Les brainstormings que je propose durent généralement 40mn, et on réserve 20mn pour avoir les restitutions publiques des idées. Aucune autre règle. La restitution se déroule entre 2mn et 3mn généralement.
La pizza communautaire
Une bonne idée, souvent croisée, voire systématiquement, c’est une pizza communautaire. J’ai pu aussi assister à un espace détente entre midi & deux avec du Counter Strike (jeu video en ligne de fusillades). Pas de souci, la journée va être très fatiguante, pour ceux qui le veulent (car c’est une invitation et l’on peut s’arrêter à tout moment : une fois, tout un groupe de 20 personnes s’est arrêté à la troisième heure, épuisé : “c’est fini quand c’est fini”).
Un PDF c’est du concret
Si vous êtes facilitateur, pendant les brainstormings vous allez consolider les retours des sessions précédentes. Il faut éviter de transformer l’évènement en une prise de parole ponctuelle sans suite. Pour cela : on va consolider les propositions dans la foulée (généralement je distribue le PDF le soir, au pire le lendemain). J’ai pris l’habitude d’aller vite avec markdown + pandoc, ou avec latex+texmarker. Certains me facilitent la tâche en écrivant sur leur portable le résultat des débats, sinon je demande systématiquement une feuille de papier manuscrite de ce qui a émergé du groupe.
En fin de journée on célèbre, on s’applaudit si on pense que c’était bien. Et on clôture, comme l’ouverture avec le ou les grands chefs.
Le ou les facilitateurs
Ils tiennent l’espace : s’assurent que le conteneur est en bon état : clair, avec des règles connues et respectées, de façon à ce que l’auto-organisation soit libérée.
Aucun risque pour les grands chefs
Aucun risque pour les grands chefs car ils ont l’opportunité de citer et placer les contraintes. Tous les bénéfices sont partagés par tous les participants. Avoir des gens qui proposent des choses pour la société dans un cadre bien défini ne pourra être vécu que comme un progrès pour l’entreprise.
Le seul vrai risque c’est de faire croire que vous soutenez l’initiative. Ce mensonge se paiera cher au niveau de la confiance. Mieux vaut ne pas faire d’OAA que de faire croire à votre soutien lors d’un OAA.
Le flot des propositions
Pour un groupe de 60 personnes, pour un premier OAA, je vais constater ~200 propositions d’actions mesurables et concrètes. Parmi celles-ci, 150 sont des imprécations, surtout lors du premier. On donne la parole, et la parole est utilisée pour enfin dire à haute voix des choses enfouies. Mais ce ne sont pas nécessairement de vraies actions. Sur les 50 restantes, la moitié ne tiendra pas la distance : elles vont vite se révéler inopérables, inadéquates, mauvaises, etc. Sur les 25 restantes, même si on en met en œuvre la moitié cela fait une grosse dizaine d’améliorations tous les 6 mois (comme on le verra plus bas, on va répéter l’évènement tous les 6 mois en règle générale). Une dizaine d’améliorations tous les 6 mois, portées par les équipes, pérennes, en adéquation avec le contexte de la société : difficile de faire mieux.
Le pas en arrière
Ce n’est jamais arrivé, mais même si aucune action n’était achevée cette journée OAA apporte malgré tout bien des bénéfices. La mise en perspective du travail de chacun n’est pas le moindre : la journée va provoquer une interrogation sur soi et son outil de travail qui va se révéler très enrichissante pour la plupart. J’ai aussi pu observer une libération de la parole et de la communication dans l’entreprise.
Inonder l’espace d’histoires
Le lendemain c’est un peu la gueule de bois. Le quotidien reprend ses droits. L’ébullition de la veille semble avoir fait long feu. Pour le manager, le coach, le facilitateur ou l’accompagnateur, il faut inonder l’espace d’histoires : quels sont les succès qui pointent ? quels sont les actions qui ont démarrés ? comment a-t-on réussi à faire prendre forme à nos propositions ? Quelles sont les bonnes surprises ? Quels sont les apprentissages ? etc. Les histoires c’est le véritable indicateur de la culture d’entreprise. Qu’est ce que l’on raconte au café concernant l’entreprise : c’est clef ! Vous devez y être extrêmement sensible.
Les histoires sont aussi le motif le plus adapté à l’apprentissage. C’est elles qui véhiculent et cristallisent le mieux la culture d’entreprise comme le dit si bien Oana Juncu.
Suivi des actions
Aucune règle, mais soyez présent au niveau des histoires comme évoqué plus haut. Si vous êtes facilitateur ou manager, relancez l’intérêt mais ne prenez pas la main : ce ne sont pas vos propositions. Vous êtes là pour soutenir. Généralement on va vite proposer (les gens, les copains, les participants) un suivi visuel de type Kanban.
Répéter l’évènement !
Comme le rappel Dan Mezick en faisant l’analogie avec les rites de passage des cultures africaines entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte (il utilise le terme de liminalité), le changement introduit un sentiment d’insécurité. C’est identique avec l’OAA. Il est donc indispensable que vous annonciez clairement qu’un autre OAA aura lieu dans 6 mois (et ainsi tous les 6 mois une nouvelle étape sera franchie). Cela donne une cible, cela permet aussi, et c’est très important, de savoir que ce que l’on va essayer de mettre en œuvre peut être annulé, remis en question. Si donc on peut le remettre en question, c’est donc que l’on peut essayer. La première journée est différente si on sait qu’une autre suivra. Annoncez-le dès le début.