Penser son organisation - sur le terrain

Après avoir lancé l’idée d’utiliser la théorie des catastrophes, idée difficile à saisir et à appliquer – je vais essayer bientôt de la rendre plus palpable en l’associant à la métaphore du cristal – je vais revenir à des choses beaucoup plus concrètes comme l’organisation physique, sur le terrain.

Dernièrement j’ai pu réaliser deux Open Agile Adoption (je vous en parle dans la semaine au travers de ce blog), et l’une des choses qui me frappent c’est l’aspect concret des propositions. On imagine que les personnes vont demander des processus de prises de décision, des façons poussées de gérer la communication, etc. Mais non, pas du tout, ils ramènent leurs propositions à des choses très concrètes, très terre à terre, mais probablement terriblement efficaces : avoir des ordinateurs portables plutôt que des postes fixes, changer l’emplacement du bureau pour avoir un accès plus facile à tout le monde, regrouper les membres d’un projet, plus de puissance de calcul du processeur, plus d’espace disque, etc.

Un conteneur, de l’auto-organisation

Ben oui, je le rappelle, car j’adore cette phrase de Harrison Owen, “organiser un système auto-organisé ce n’est pas seulement un oxymore, c’est surtout stupide !” ; et l’être humain, comme tout système vivant est auto-organisé. Il ne faut donc surtout pas s’attacher à essayer de l’organiser, mais lui donner les moyens de s’auto-organiser plus aisément, plus facilement, plus rapidement. On retrouve là une idée chère à la complexité : le meilleur moyen de générer des pratiques émergentes c’est de placer un conteneur, un cadre, des contraintes, et de laisser l’élément (complexe) s’épanouir en son sein.

Donnez donc les moyens à votre organisation, aux personnes qui la composent, de s’épanouir, de s’auto-organiser, en leur offrant un cadre propice. Et n’allez pas chercher midi à quatorze heures.

Espace de travail, openspace, obeya ?

Pour démarrer on peut évoquer les openspace – là je parle des grands espaces ouverts avec tous les bureaux –. La tendance est plutôt de les proscrire. Il y a trop d’agitation et pas assez de focus par thème. En plus, très bizarrement, dans ces grands espaces les équipes “produit” ou “projet” ne sont pas si souvent que cela regroupées. A cela il faut préférer ce que Toyota appelait les Obeya.

C’est à dire une pièce “projet”. Elle rassemble tous les éléments et les acteurs du projet. Il y a un focus fort, le conteneur est physiquement représenté. Et, ajoute John Medina, dans Brain Rules, la mémoire fonctionne mieux en associant lieu & sujet, et ainsi la résolution des problèmes. Vous noterez qu’une Obeya propose une approche très visuelle, avec un mur dédié par thème, je reviendrai sur ce point plus bas, mais il est aussi essentiel.

Les openspaces ont cependant pour bénéfice de faire circuler facilement l’information à tout le monde d’un coup. Pour ne pas perdre cette transmission, si vous optez pour l’option “pièce projet” – ce que je recommande – accompagnez la de beaux espaces détente & café (avec canapé et tapis persans, ça c’est mon combat perso, les canapés et les tapis persans). Les équipes ne devraient pas non plus être immuables, on imagine qu’elles changent de temps en temps (un membre tous les 3 ou 6 mois ?).

Co-localisation ?

Oui cela implique probablement une co-localisation. Faut-il le répéter combien de fois ? On est bien meilleur en étant co-localisé. Et co-localisé cela veut dire, si on emploie la belle image de Alistair Cockburn, pas plus de la distance d’un bus (voir son graphisme ci-dessous, cliquez pour agrandir, qui provient de cette excellente vidéo).

Je ne sais malheureusement plus où j’avais lu cela, et donc je ne peux vous donner la référence, mais il semble que certaines études font même apparaître que se situer à un autre étage est une distance encore plus dur à franchir que se situer dans deux villes différentes.

La principale question des organisations est une affaire de communication. On passe un temps fou à mal communiquer, car pour des questions de coûts ou de facilité on a décidé de ne pas être co-localisé. C’est quelque chose qui coûte très cher. Autant en terme d’implication des personnes, de qualité, de temps, etc.

Off-shore ?

Mais alors et le off-shore ? Le off-shore tel qu’on l’entend habituellement (ou même le near shore) cumule deux problèmes : la non co-localisation évoquée plus haut, et le fait que l’on destine celui-ci à une tâche bien précise dans un projet ; bien souvent par exemple, la recette, l’assurance qualité, ou les développements. Et là c’est le drame. Non content de ne pas pouvoir communiquer (par la distance, mais aussi souvent la langue et la culture), on rend aveugle le centre externe en ne lui donnant aucune vision, aucune capacité d’auto-organisation justement. On perd tout engagement et motivation comme j’ai pu l’évoquer dans ce précédent article, et ainsi toute productivité. Comme je le disais, dans le livre “Mythical Man Month” de Fred Brooks, on évoque un ratio de “productivité” de l’ingénieur avec un facteur entre 1 et 10. Ce facteur est pour moi grandement basé sur la capacité d’engagement et d’implication de l’ingénieur. Avec le off-shore classique il s’effondre. Les indiens, les polonais, les tunisiens, ne sont naturellement ni plus ni moins intelligents que les français (faut-il le rappeler…!!!), c’est le cadre qui encourage l’intelligence, l’innovation, l’engagement, l’implication, la productivité. Ajoutez à cela le coût de la distance… Reprenez vos calculs avec vos achats et vos viviers et votre off-shore, prenez le coût du off-shore et multipliez par dix ou quinze.

Le off-shore peut très bien s’envisager si il se bâtit sur une équipe (de 3 à 7 personnes) ou un département (50 personnes) hétérogène, avec des compétences multiples (du métiers, au test, au déploiement, etc.) et co-localisé. Je ne suis pas en train de vous dire que l’on ne peut pas avoir une organisation sur plusieurs continents, mais que chaque localisation doit avoir son propre sens et s’auto-organiser.

Pour les chiffres 7 et 50 je vous encourage à lire la horde agile.

Télétravail

Mais alors, et le télé-travail ? Le télé-travail est une question qui se traite au sein de l’équipe, avec le support du management si il existe. C’est donc une question d’auto-organisation. Selon les moments l’équipe devrait savoir placer le curseur au bon endroit, et ce curseur peut bouger. A priori le télé-travail va à l’encontre de la co-localisation et de l’obeya. Je ne l’envisage donc pas à plein temps, mais si quelqu’un veut se protéger -au calme- chez soi, si il s’épanouit ainsi, cela ne sera que mieux pour l’équipe. Cette accord est possible au sein d’une équipe. J’estime qu’il faut ménager des moments où tout le monde est présent ensemble. J’ai lu le chiffre de 60% de télétravail maximum, il me semble cohérent, mais comme il s’agit d’auto-organisation au sein de l’équipe je suis près à observer toutes les solutions, toutes les options.

En cas de télé-travail, pour réaménager la communication il est fortement recommandé de placer tout le monde au même niveau, c’est à dire que si une personne devait bosser en téléconférence via un outil quelconque, il est préconisé de placer tout le monde au travers de cet outil afin de garantir le même niveau de communication à tous (même si les quatre autres sont autour d’un même bureau…). Cela renforce la confiance et aligne tout le monde. (Ne soyez pas fous non plus, je ne parle que de réunions journalières, ou hebdomadaires, pas durant toute la journée).

D’ailleurs on observe que les équipes distribuées : un membre dans
chaque capitale d’Europe, fonctionnent mieux que les équipes dispersées
la majorité de l’équipe à Paris, et deux membres à Berlin. Notamment pour raison d’accès égal à l’information et donc de dynamique d’équipe.

Outils de travail

Dans tous cela, au lieu de généralement se focaliser sur le processus de consentement, ou la façon d’estimer au plus juste, il serait mieux de s’attacher à libérer la capacité des personnes. Oui avoir des machines plus puissantes coûte généralement peu au regard de ce que cela peut ramener comme valeur. Imaginez vous ne puissiez pas avoir votre plate-forme d’intégration continue (je parle aux informaticiens), juste à cause d’un serveur essouflé… Pensez au coût d’un bon serveur comparé au gain d’avoir une plate-forme d’intégration continue.

C’est pareil pour les murs et les tableaux physiques, le management visuel (le vrai), mettez 2000 à 5000 euros et sauvez un projet de dix ou cent fois plus.

Idem pour les outils de communication à distance, car même quand l’organisation opte pour du off-shore classique, histoire de garantir des coûts plus élevés, elle s’attache à s’équiper d’un système de vidéo-conférence défaillant, ou d’un réseau dramatiquement sous dimensionné.

Un meilleur réseau, de meilleurs outils, de bons murs, de belles pièces projet/produit ; des équipes co-localisées, auto-organisées et porteuses de sens, n’allez pas chercher midi à quatorze heures.

Série sur les organisations

0 - prémisses : Agile à grande échelle : c’est clair comme du cristal

1 - penser son organisation : introduction

2 - penser son organisation : théorie des catastrophes

3 - penser son organisation : sur le terrain