Les émotions sont la source du changement
Voici quelques temps que je m’interroge sur la notion de “culture hacking”. Expression difficile à traduire sous laquelle je place personnellement cette action de détourner, pirater, la culture d’une organisation pour la faire évoluer vers une autre, que l’on souhaite meilleure.
Si vous accompagnez des entreprises vous savez la difficulté à faire changer la culture de celles-ci. Vous savez les efforts -parfois vains- de répandre un état d’esprit, agile par exemple, dans l’ensemble de l’entreprise, dans toutes ses strates, des opérateurs terrains au management en “haut” de la hiérarchie. Exemple typique : on demande de passer l’organisation à l’agile, vous avez démarré par quelques équipes, et cela marche. Les ennuis commencent. Comme cela marche on répand de plus en plus la “bonne parole”. Mais ce qui était viable un temps pour une entreprise : héberger en son sein 2 ou 3 projets agiles, devient un réel re-positionnement quand il s’agit d’aller plus loin : parcours RH, changement de type de management, clarification des valeurs et des buts de la structure, etc. Peut-être est-ce simplement une erreur initiale : cette entreprise ne voulait tout simplement pas aller vers l’agile mais suivait uniquement, sans réfléchir, l’effet de mode actuel. A ce sujet je clarifie désormais systématiquement cette question : voilà ce que cela va impliquer, êtes-vous toujours partant ? Mais même une entreprise volontaire pour se lancer dans une telle démarche va potentiellement souffrir.
Concernant les défis qui nous sont lancés actuellement : collaboration au lieu de hiérarchie. Autonomie, responsabilisation, et même amour, disons le, le chemin s’annonce long. Et l’on voit bien que ce n’est pas les pratiques qui changeront réellement quelque chose, mais la culture (ok les pratiques sont l’émanation de la culture et vice-verça me direz vous, peut-être).
Comment faire ? quelle voie pour changer une culture ?
Ou tout simplement, changer.
Et bien voilà où en sont mes réflexions. Mes observations indiquent que les émotions fortes sont la source du changement.
D’abord il s’agit d’une expérience personnelle. Je traverse une période avec des émotions fortes et j’observe qu’elles me permettent de penser différemment. L’émotion forte me permet de sortir du cadre habituel de ma réflexion. J’en reviens là à une idée forte du livre de Damasio, Descartes’error (l’erreur de Descartes, pas très facile ni agréable à lire mais quelques idées fortes) qui exprime que la raison sans émotion n’est rien. Aucun raisonnement n’est valable si il ne contient pas une dose d’émotion.
On peut donc imaginer qu’avec un fort afflux émotionnel, nos raisonnements soient différents (dans le bon sens du terme). Ce fort afflux émotionnel permet de rompre le cadre trop strict de nos habitudes et de notre éducation. C’est ce que j’ai pu observer à différents moments.
C’est aussi ce dont traite le très bon livre de Dan Heath, Switch. Dan Heath utilise une métaphore qui fonctionne très bien : nous sommes un éléphant et son cornac (le conducteur de l’éléphant). Le cornac répond aux raisonnements logiques, à l’information claire, il est cérébral, il veut savoir pourquoi & comment. L’éléphant répond à son instinct, à ses émotions. Il faut les deux pour avancer. le cornac est impuissant si l’éléphant refuse d’avancer dans une direction. Aujourd’hui j’estime que la part de l’émotion est quasiment égale à la disproportion physique entre un éléphant et son cornac, un être humain.
Un autre exemple de Switch qui m’a beaucoup interpellé (lectures de cet automne), d’après mes souvenirs : un homme découvre que son entreprise manufacturière, dont l’activité nécessite des gants, achète un nombre incalculable de gants, dont certains identiques, à des prix très différents. Il rédige de ce pas un mémo (imaginez un excel avec une ligne plein de chiffres) à sa direction. Celle-ci en prend bonne note et décide qu’une action sera lancée lors du prochain vote du budget. Il décide donc de provoquer le changement différemment : il invite la direction à une réunion. Il prépare la salle de réunion en plaçant sur un bureau central l’ensemble des différentes paires de gants achetées par l’entreprise, à chacune il agraffe son prix (pour montrer les différences même pour des paires identiques). Lorsque la direction entre dans la salle son émoi est d’envergure : il faut immédiatement changer les choses. Ce n’est pas tenable…
Les ateliers ou jeux agiles
Ils participent du même mécanisme. Vous aurez beau exposer que les explications orales ont mille qualités que les explications écrites n’ont pas, il sera dur d’aller à l’encontre de toutes ces d’années d’éducation et d’apologie de l’écrit. Faîtes un atelier/jeu, permettez aux gens de le vivre, de le sentir (une émotion), et d’observer les résultats que eux mêmes ont produit (une autre émotion). Là un changement est possible (j’entends assez régulièrement des retours du genre “plus jamais je ne …”).
Comment méthodiquement susciter l’émotion
Telle est donc la question qui me taraude actuellement. Au delà des jeux et ateliers qui ont la limite d’être souvent des métaphores hors du lieu du travail. Je veux dire : comment susciter l’émotion directement au sein de l’organisation sans la protéger par le scénario d’un jeu ou d’un atelier (repensez à l’histoire extraite de Switch). Comment saisir les occasions, les contextes, les interstices pour provoquer l’émotion qui permettra aux raisonnements des gens de fonctionner temporairement différemment et de s’ouvrir ainsi à d’autres options, d’autres voies, etc.
ma réflexion continue, mais si une occasion de susciter l’émotion passe, saisisser là !