Gouvernance et culture agile
Souvent il est nécessaire de bien évoquer la différence entre “faire de l’agile” : appliquer certaines pratiques, et “être agile” : avoir intégré la culture, l’état d’esprit agile. Et souvent il est nécessaire de rappeler que les pratiques n’ont pas de sens décorellées de la culture qu’elles sont censées colporter.
En fait pour une organisation il est absolument nécessaire de comprendre cette culture et de vouloir l’intégrer car les pratiques proposées par Scrum, Extreme Programming, Kanban ou autre se limitent bien souvent qu’à des aspects opérationnels assez réducteurs pour une compagnie. Naturellement vous allez pouvoir, vouloir, reproduire des pratiques projets ou produits comme la rétrospective à un ensemble plus grand, plus englobant : par exemple des rétrospectives de département, d’organisation, avec plusieurs dizaines de personnes, tous les 3 ou 6 mois ; ou vous allez pouvoir,vouloir travailler sur la vision, l’expression du besoin sur un plan assez macro dans l’organisation, etc. C’est possible et même recommandé.
Mais plus on se rapproche de l’organisation dans son ensemble (versus le projet, le produit) moins les pratiques sont claires, plus l’importance de la culture est évidente.
Gouvernance
Or ne nous méprenons pas, pour ce qui concerne mon vécu, c’est bien d’abord et avant toute chose face à des problématiques de gouvernance que nous sommes confrontés : donc peu importe agile ou pas, peu importe si c’est du vrai agile, ou un agile d’opérette, ou un agile d’apprentis sorciers, ou autre chose, et XP plutôt que du Scrum, du Kanban, ou du Lean, du CMMi ou du PMI, on s’en fout !
Encore une fois : les problèmatiques auxquelles je suis confrontées sont des problèmatiques de gouvernance. C’est à dire que les compagnies que je croise ne savent pas clairement vers où elles se dirigent, pourquoi prennent-elles ces directions, qu’est ce qui est important pour elles, quels sont les enjeux auxquels elles sont confrontées, comment les clarifier, comment y répondre, comment prioriser, et encore une fois : pourquoi. Cela peut se décliner : tout le monde n’a pas la même vision, tout le monde ne place pas le même sens derrière les mêmes mots. Là si mes clients, prospects ou contacts me lisent ils pensent : “il est gonflé d’évoquer notre situation à mots couverts”. Si cela peut vous rassurer : j’évoque ainsi beaucoup de mes clients, prospects, contacts.
Récemment encore à la fin d’un séminaire on m’interroge : “mais finalement nous avons surtout parlé organisation, sens, vision, enjeux, et peu d’agile” (sous entendu : sprint planning, tdd, gestion du flux, estimations, planification, product owner, etc.) Détrompez vous ! C’est bien là l’essence même de la culture agile : cette quête du sens (“pourquoi ?”). Tout le reste n’est que le plan d’exécution : les pratiques. Et cette exécution ne vient nécessairement que a posteriori.
Sens, enjeux, cohérence
Je pourrais pousser le bouchon plus loin et dire que même la question de la culture agile ne vient qu’après : trouvez d’abord les enjeux,le sens, le pourquoi de votre organisation. Ensuite la gouvernance c’est la cohérence que l’on organise autour de ce sens. A vous ensuite de décider si cette gouvernance doit être agile ou non.
Là cependant où l’agile tire son épingle du jeu c’est que cette recherche du sens fait partie de sa culture. La culture agile qui hérite de la pensée Lean d’après-guerre (Deming, Ohno) se fonde sur le respect des personnes*, l’amélioration continue, la quête de valeur et de sens (pourquoi). L’amélioration continue sous-entendant donc une quête continuelle et une remise en question continuelle (c’est le point ardu de l’agile).
Quand donc les organisations réalisent qu’avant toutes choses elles doivent s’interroger sur leur quête de sens et de valeur elles sont au coeur de la culture agile ( et acquérir la culture agile est le meilleur moyen d’y répondre ) .
L’essence de la culture agile c’est le sens
Quand on parle de gouvernance, ce que j’associe donc à l’application d’une cohérence opérationnelle relative à la vision de l’organisation, on évoque à mes yeux l’application d’une culture agile : nous avons une vision, soyons transparent sur son application, ayons le courage de son application, communiquons auprès de tous à son sujet, inspectons les résultats de cette application (feedback), adaptons nous pour suivre cette vision, focalisons nous sur cette vision sans s’égarer, restons simple dans cet objectif, etc. et au delà les pratiques “opérationnelles” de l’agile qui ainsi “mettent en oeuvre”.(C’est pour cela que je suis aux antipodes d’associer obligatoirement agile et code. Cela a pu être le cas historiquement, ceux sont avant tout des codeurs qui rebondissent sur la pensée Lean, mais aujourd’hui nous sommes au délà, les pratiques agiles de code ne sont qu’une émanation parmi d’autres de pratiques relatives à une culture plus large, au delà du “software”).
D’où aussi parfois, souvent, les difficultés de “bottom-up” de l’agile : les équipes mettent en oeuvre une culture agile mais celles-ci se heurtent rapidement à la culture de la compagnie, elles mettent en évidence les incohérences de la vision et de la gouvernance de l’organisation.
Il n’y a pas de chemin clair vers la culture agile. Parfois c’est l’application des pratiques qui font émerger le sens. Parfois c’est un choc psychologique, culturel qui convinct, une révélation, parfois c’est une lente maturation ; le hasard, ou l’élimination naturelle à la Darwin/Lamarck : ne survivront que les organisations qui font sens.
* Je rappelle que vous pouvez avoir une lecture philanthropique de cette sentence, comme cynique (responsabilisons les gens, respectons les, c’est bon pour la performance, c’est bon pour le business).